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Le Tribunal des marchés financiers établit un nouveau cadre pour l’examen des pilules empoisonnées

Le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le « Tribunal ») a récemment publié ses motifs fort attendus à l’appui de l’interdiction d’opérations prononcée à l’égard du plan de droits des actionnaires de Bitfarms Ltd. (« Bitfarms ») qui comportait un seuil de déclenchement de 15 % (le « Plan de droit à 15 % »). Dans la décision Riot Platforms, Inc. v. Bitfarms Ltd., 2024 ONCMT 27, le Tribunal a exercé la compétence en matière d’intérêt public que lui confère le paragraphe 127(1) de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « Loi ») pour interdire les opérations visant le Plan de droits à 15 %. Le plan dérogeait en effet au seuil de 20 % prévu par la quasi-totalité des plans de droits des actionnaires de « prochaine génération » ayant été adoptés au Canada depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime canadien d’offres publiques d’achat en 2016, ainsi qu’au seuil bien établi de 20 % du régime canadien d’offres publiques d’achat qui remonte à 1965.

Dans la décision Riot Platforms, le Tribunal a saisi l’occasion pour établir un nouveau cadre lui permettant d’exercer sa compétence en matière d’intérêt public dans des circonstances où il n’y a pas de violation manifeste de la législation ontarienne en valeurs mobilières. Le Tribunal vient ainsi résoudre les approches divergentes qui ressortaient des décisions rendues au sujet des plans de droits des actionnaires pendant des décennies par le Tribunal et, auparavant, par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « Commission »).

Principaux enseignements

  • Le Tribunal a pour la première fois formulé clairement le critère juridique qui doit sous-tendre sa décision d’interdire ou non les opérations visant un plan de droits des actionnaires en application de sa compétence en matière d’intérêt public, ce critère juridique reposant sur les « [TRADUCTION] principes directeurs » de la Loi, y compris :
    • les objets de la Loi, énoncés dans son paragraphe 1.1 :
      • protéger les investisseurs contre les pratiques déloyales, irrégulières ou frauduleuses;
      • favoriser des marchés financiers justes, efficaces et concurrentiels et la confiance en ceux-ci;
      • contribuer à la stabilité du système financier et à la réduction du risque systémique;
    • les principes énoncés dans le paragraphe 2.1 de la Loi que la Commission doit prendre en considération dans la réalisation des objets de la Loi :
      • peser l’importance à accorder à chacun des objets de la Loi;
      • les moyens principaux de réaliser les objets de la Loi, à savoir (i) des exigences pour veiller à ce que les renseignements soient divulgués en temps utile et avec exactitude et efficience; (ii) des restrictions à l’égard des pratiques et procédures frauduleuses et déloyales du marché; et (iii) des exigences pour veiller à ce que soient maintenues des normes d’aptitude et de conduite professionnelle élevées afin de faire en sorte que les participants au marché se comportent de façon honnête et responsable;
      • l’application et l’exécution de la Loi de façon opportune, ouverte et efficiente;
      • le recours, par la Commission, à la capacité des organismes d’autoréglementation reconnus en matière d’application de la loi et à leurs compétences en matière de réglementation;
      • l’harmonisation et la coordination saines et responsables des régimes de réglementation des valeurs mobilières;
      • des restrictions imposées aux activités commerciales et aux investissements des participants au marché, notamment les frais d’entreprise et les frais réglementaires, établies en fonction de l’importance des objectifs visés en matière de réglementation;
      • la facilitation de l’innovation sur les marchés financiers de l’Ontario.
  • Le Tribunal a conclu qu’il est dans l’intérêt public d’interdire les opérations visant un plan de droits des actionnaires qui ne viole pas par ailleurs la législation ontarienne en valeurs mobilières si (i) le demandeur démontre que le plan porte atteinte, « d’une manière réelle et substantielle » et avec « [TRADUCTION] un effet sur le public », à un ou à plusieurs des principes directeurs nettement reconnaissables qui sous-tendent la législation ontarienne en valeurs mobilières, et (ii) l’intimée ne fait pas la preuve de circonstances exceptionnelles qui justifieraient le maintien du plan.
  • Le Tribunal poursuit en expliquant que le demandeur doit prouver « [TRADUCTION] qu’il est légitime, raisonnablement probable et non illusoire » de penser que le comportement en cause portera atteinte « [TRADUCTION] gravement et d’une manière non frivole » à un principe directeur.
  • Le Plan de droits à 15 % remplit les critères d’une interdiction d’opérations, et l’interdiction a été prononcée par le Tribunal le lendemain de l’audience contestée de l’affaire en juillet 2024.
  • En limitant le critère de l’intérêt public au contexte des plans de droits des actionnaires, le Tribunal semble avoir laissé la porte ouverte à une révision de la norme de l’intérêt public qui s’applique à un placement privé défensif ou à d’autres tactiques défensives qui ne violent pas la Loi.
  • Le Tribunal a aussi sous-entendu qu’un plan de droits des actionnaires prévoyant un seuil inférieur à 20 % pourrait ne pas faire l’objet d’une interdiction d’opérations dans des circonstances exceptionnelles. Le Tribunal a laissé entendre que ces circonstances pourraient comprendre le comportement de l’initiateur, le fait que l’initiateur a atteint une participation lui permettant de bloquer toute offre concurrente ou le fait que l’émetteur apporte une preuve digne de foi qu’il a entamé un véritable processus d’examen stratégique ou qu’une opération à valeur ajoutée est à l’étude. Il sera intéressant de voir si ces éléments de la décision du Tribunal provoqueront une hausse du nombre de litiges concernant les plans de droits des actionnaires.
  • Les conseils d’administration seraient bien avisés, dorénavant, de faire tout en leur pouvoir pour répondre à l’exigence des « [TRADUCTION] circonstances exceptionnelles » avant d’adopter une tactique défensive sous forme de plan de droits des actionnaires comportant un seuil inférieur à 20 % ou d’autres caractéristiques qui dérogent au régime des offres publiques d’achat.

Contexte

Riot Platforms, Inc. (« Riot ») et Bitfarms sont des concurrentes dans le secteur du minage de bitcoins. En 2023 et en 2024, Riot a présenté diverses propositions confidentielles à Bitfarms concernant un éventuel regroupement des deux entreprises. Ces ouvertures n’ont pas abouti.

Au premier semestre de 2024, Riot a acquis une position restreinte représentant presque 15 % des actions ordinaires en circulation de Bitfarms et a demandé la convocation d’une assemblée extraordinaire des actionnaires de Bitfarms afin d’y proposer des candidats aux postes d’administrateur de celle-ci. En réponse à cette demande, Bitfarms a annoncé, le 10 juin 2024, qu’elle avait entrepris un processus d’examen stratégique et qu’elle avait adopté le Plan de droits à 15 % pour se donner toutes les possibilités de terminer le processus de révision stratégique qu’elle avait entrepris. Bitfarms considérait que la position restreinte de Riot allait vraisemblablement nuire à son processus d’examen stratégique et l’empêcher de maximiser la valeur pour les actionnaires.

Riot a demandé au Tribunal, en vertu du paragraphe 127(1) de la Loi, une ordonnance d’interdiction des opérations visant le Plan de droits à 15 %.

Nouvel examen de la compétence du Tribunal en matière d’intérêt public

L’article 127 de la Loi confère au Tribunal le pouvoir de rendre un vaste éventail d’ordonnances « s’il est d’avis qu’il est dans l’intérêt public de le faire ». Dans sa décision, le Tribunal confirme qu’il peut rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 127(1) en l’absence d’une violation alléguée de la législation ontarienne en valeurs mobilières (avec peu d’exceptions) s’il est dans l’intérêt public de le faire. Pour déterminer s’il est dans l’intérêt public de le faire, le Tribunal doit tenir compte des « principes directeurs » sur lesquels repose la législation ontarienne en valeurs mobilières. Parmi ces principes figurent :

  • les objets énoncés au paragraphe 1.1 de la Loi, qui sont a) de protéger les investisseurs contre les pratiques déloyales, irrégulières ou frauduleuses et b) de favoriser des marchés financiers justes et efficaces ainsi que la confiance en ceux-ci.
  • les principes fondamentaux à appliquer pour réaliser ces objets, tels qu’ils sont énoncés à l’article 2.1 de la Loi;
  • d’autres principes fondamentaux qui sous-tendent des dispositions précises de la législation ontarienne en valeurs mobilières et qui sont pertinents pour une instance donnée.

Évaluation du comportement par rapport aux principes directeurs

Comme il l’explique dans sa décision Riot Platforms, le Tribunal doit tenir compte des principes directeurs dans le cadre de toutes les procédures engagées en vertu du paragraphe 127(1). Cela dit, le contexte importe. L’analyse requise peut concerner aussi bien une procédure d’application de la loi qu’une procédure autre que d’application de la loi, et, dans ce dernier cas, divers types de procédure peuvent être en cause, selon le point en litige.

Dans sa décision récente Mithaq Canada Inc. (Re), 2024 ONCMT 9 (affaire portant sur une demande d’interdiction d’opérations visant un placement privé organisé en réponse à une offre publique d’achat non sollicitée), le Tribunal a fait savoir qu’il cherchait l’occasion de clarifier les normes par rapport auxquelles le comportement doit être évalué en lien avec les principes directeurs dans différents contextes.

Dans l’affaire Riot Platforms, le Tribunal a soigneusement passé en revue des décennies de décisions sur les plans de droits des actionnaires, et constaté l’incohérence des normes ayant servi à évaluer le comportement en lien avec les principes directeurs qui sous-tendent la Loi. Par exemple, selon certaines décisions, le comportement dénoncé devait constituer un « abus » des principes directeurs pour que le Tribunal intervienne, tandis que selon d’autres, la jauge allait d’un comportement « ne correspondant pas » aux principes directeurs, à un comportement entraînant la « non-conformité » aux principes directeurs, en passant par le comportement qui « fait intervenir » les principes directeurs, qui est « contraire » aux principes directeurs, qui y « porte atteinte », qui les « enfreint » ou qui y « contrevient ». [TRADUCTION].

À l’issue de sa démarche pour rendre plus précise et cohérente la norme à appliquer, le Tribunal a statué que, dans une demande d’interdiction des opérations visant un plan de droits des actionnaires présentée en vertu du paragraphe 127(1) de la Loi dans un contexte où il n’est pas allégué ni établi que la législation ontarienne en valeurs mobilières a été violée, le demandeur doit démontrer que « [TRADUCTION] le comportement a porté atteinte à un ou à plusieurs principes directeurs nettement reconnaissables d’une manière réelle (c.-à-d. bien fondée, raisonnablement probable et non illusoire) et substantielle (c.-à-d. grave et non frivole) ». Le Tribunal estime que cette norme apporterait « [TRADUCTION] un certain degré de prévisibilité » et reflèterait « [TRADUCTION] l’approche prudente » qu’il « [TRADUCTION] devrait adopter » lorsqu’il étudie la question de savoir s’il interviendra dans les marchés financiers en l’absence d’une violation de la législation ontarienne en valeurs mobilières.

Le Tribunal a notamment fait savoir que le motif – à savoir le but pour lequel un plan de droits des actionnaires a été conçu ou mis en place – peut être un élément pertinent dans l’évaluation du plan, car « [TRADUCTION] il y a un lien direct entre l’objet expressément déclaré de la Loi consistant à favoriser la confiance dans les marchés financiers et la motivation du comportement qui risque de miner cette confiance ».

Aspect public

En plus de l’élément « principes directeurs » du critère de l’intérêt public décrit précédemment, le Tribunal estime que le demandeur doit démontrer que l’aspect « public » est présent. Autrement dit, il doit être dans l’intérêt public de rendre l’ordonnance. On doit donc démontrer que (i) le comportement dénoncé a un effet préjudiciable sur les investisseurs en général, sur les marchés financiers dans leur ensemble ou sur le bassin d’investisseurs actuels et éventuels d’un émetteur coté en bourse, ou que (ii) le comportement dénoncé, s’il était toléré, aurait vraisemblablement un effet négatif sur les opérations futures.

Le critère d’une ordonnance d’intérêt public dans le contexte d’un plan de droits des actionnaires

Le Tribunal a résumé comme suit le critère à appliquer en vertu du paragraphe 127(1) de la Loi pour interdire les opérations visant un plan de droits des actionnaires :

Dans les procédures où le demandeur sollicite une interdiction d’opérations à l’égard d’un plan de droits des actionnaires, sans démontrer que le plan viole la législation ontarienne en valeurs mobilières, le Tribunal examinera la question de savoir si le demandeur a établi que :

  1. le plan porte atteinte de manière réelle et substantielle à un ou à plusieurs principes directeurs nettement reconnaissables qui sous-tendent les dispositions applicables de la législation ontarienne en valeurs mobilières;
  2. l’existence du plan a une incidence à dimension publique, de sorte qu’une intervention du Tribunal est dans l’intérêt public.

Évaluation du Plan de droits de 15 %

Le seuil de 20 % selon le Règlement 62-104

Le Tribunal a reconnu que le seuil de 20 % fermement enchâssé dans le régime des offres publiques d’achat, tel qu’il est prévu dans la Norme multilatérale 62-104Offres publiques d’achat et de rachat (le Règlement 62-104 sur les offres publiques d’achat et de rachat au Québec) (le « Règlement 62-104 »), était une valeur de référence appropriée pour évaluer le seuil de déclenchement du Plan de droits à 15 % en litige. Le Tribunal s’est ainsi exprimé même si Riot n’avait pas encore lancé d’offre sur Bitfarms au moment où elle lui a présenté sa demande. Selon les fondements historiques du régime des offres publiques d’achat, l’un des principaux objets de celui-ci est de prévoir un processus ordonné pour le changement de contrôle des sociétés cotées en bourse. Le processus priorise les intérêts des actionnaires visés, notamment en protégeant la transparence, l’égalité de traitement et les délais pour examiner d’autres solutions. Il vise également à assurer de la prévisibilité sur le moment où des exigences accrues sont imposées aux initiateurs (en ce qui concerne les déclarations d’initiés et les déclarations selon le système d’alerte, par exemple).

Dans sa description de l’architecture du régime des offres publiques d’achat, le Tribunal a aussi reconnu que celui-ci prévoit des dispenses, ainsi que des obligations d’information concernant les déclarations d’initiés et les déclarations selon le système d’alerte. Ces caractéristiques constituent un compromis, sur le plan des principes, entre l’autorisation donnée à un actionnaire d’accumuler jusqu’à 20 % d’actions dans le cours normal, et l’obligation d’informer les actionnaires qu’il y a une « [TRADUCTION] activité importante sur le marché ». Le régime des offres publiques d’achat contient donc des éléments qui « [TRADUCTION] régissent l’accumulation d’actions sous le seuil de 20 % et au-dessus de celui-ci ».

Le Tribunal a convenu avec Riot et la Commission que la « démarcation nette » que trace le seuil de 20 % prévu par le régime canadien des offres publiques d’achat accroît la certitude et la prévisibilité pour les participants au marché, et contribue de ce fait à l’efficacité des marchés financiers.

Modifications de 2016 touchant le régime des offres publiques d’achat

En 2016, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont apporté des modifications au régime des offres publiques d’achat du Canada afin d’en améliorer la qualité et l’intégrité et d’établir un nouvel équilibre entre les intérêts des initiateurs, d’une part, et ceux des conseils d’administration et des porteurs de titres des sociétés visées par une offre, d’autre part. Ces modifications posaient l’obligation, notamment, que toutes les offres publiques d’achat non dispensées : (i) incluent une condition de dépôt minimal ne pouvant faire l’objet d’une renonciation, selon laquelle la majorité des titres visés par l’offre devaient être déposés; (ii) puissent être prolongées pendant un délai de 10 jours après que la condition de dépôt minimal a été satisfaite et que toutes les autres modalités et conditions de l’offre publique d’achat ont été respectées ou ont fait l’objet d’une renonciation; et (iii) demeurent valides pendant un délai d’au moins 105 jours, sous réserve d’exceptions limitées.

Dans sa décision Riot Platforms, le Tribunal a reconnu que ces modifications avaient pour but en partie de réduire ou d’éliminer le besoin d’évaluer au cas par cas, au moyen des facteurs établis dans l’affaire « Royal Host », les circonstances dans lesquelles un plan de droits des actionnaires avait été adopté. L’un des principaux objectifs des modifications de 2016 était « [TRADUCTION] d’améliorer la prévisibilité et de remédier à bon nombre des raisons qui poussaient les émetteurs à adopter des plans de droits des actionnaires ». Le Tribunal a reconnu qu’une approche qui ouvrait la porte à de nombreux litiges concernant les plans de droits des actionnaires annulerait une bonne part des améliorations que les modifications de 2016 cherchaient à apporter.

Pour cette raison, le Tribunal a jugé qu’il convenait d’utiliser le seuil de 20 % prévu dans le Règlement 62-104 pour évaluer le Plan de droits à 15 %. Le Tribunal n’a cependant pas écarté la possibilité que des circonstances exceptionnelles puissent justifier un résultat différent dans une affaire future.

La décision du Tribunal dans l’affaire Riot Platforms est conforme à deux décisions antérieures dans lesquelles les autorités mettent en garde contre les écarts par rapport au régime des offres publiques d’achat minutieusement équilibré adopté en 2016. Dans l’affaire Aurora Cannabis Inc. (Re), 2018 ONSEC 10, la Commission explique qu’« [TRADUCTION] il ne sera permis qu’en de rares occasions à un plan stratégique de venir altérer les caractéristiques du régime d’offres publiques d’achat ». De même, dans l’affaire ESW Capital, LLC (Re), 2021 ONSEC 7, la Commission a refusé de dispenser un initiateur de l’obligation de respecter la condition de dépôt minimal prévue par le régime. Selon elle, « [TRADUCTION] la prévisibilité est un aspect important de la réglementation sur les offres publiques d’achat, et la Commission doit agir avec circonspection lorsqu’elle accorde une dispense qui modifie le régime récemment rééquilibré ».

Compte tenu de ces décisions, on peut voir dans Riot Platforms une nouvelle confirmation, de la part du Tribunal, que les caractéristiques établies du régime canadien des offres publiques d’achat favorisent la certitude et la prévisibilité, ainsi que le traitement juste et égal des participants au marché. Le Tribunal ne permettra pas à la légère que l’on s’écarte de ces éléments du régime.

Un écart par rapport au seuil de 20 % nécessite des circonstances exceptionnelles

Le Tribunal a ensuite évalué les circonstances dans lesquelles un plan de droits des actionnaires peut entraver le droit d’un participant au marché d’acquérir jusqu’à concurrence de 20 % des actions d’une société sans déclencher l’application du plan. Il explique que ces restrictions constituent un « [TRADUCTION] écart important par rapport aux attentes de longue date du marché qui perturberait grandement la dynamique de l’accumulation d’actions en conférant à l’émetteur le pouvoir d’influer sur ce processus en dehors du contexte d’une offre publique d’achat ». De plus, ces restrictions pourraient éliminer du marché un acquéreur intéressé et entraîner un traitement inégal des actionnaires.

Le Tribunal s’est réservé la possibilité de ne pas toujours ordonner l’interdiction des opérations à l’égard des plans de droits des actionnaires prévoyant des seuils inférieurs à 20 %. Après avoir examiné trois décisions rendues par des commissions des valeurs mobilières ou des tribunaux entre 2001 (lorsque le régime des offres publiques d’achat a été harmonisé partout au Canada) et 2016 (lorsque le régime a été rééquilibré) au sujet de plans de droits des actionnaires prévoyant des seuils inférieurs à 20 %, le Tribunal a conclu que « [TRADUCTION] l’émetteur qui défend un plan de droits des actionnaires qui s’écarte des éléments fondamentaux du régime des offres publiques d’achat doit s’acquitter du plus lourd fardeau de la preuve ».

Bitfarms n’a pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles

Le Tribunal a soutenu que Bitfarms n’avait pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient le maintien de son Plan de droits à 15 %, concluant que les situations suivantes ne constituent pas des « circonstances exceptionnelles » :

  • l’accumulation rapide par un acquéreur stratégique d’une position dans une société visée sans qu’il y ait violation de la législation en valeurs mobilières applicable et sans qu’il soit porté atteinte à l’intégrité du régime des offres publiques d’achat;
  • l’existence d’un processus d’examen stratégique entamé par le conseil d’administration, plus particulièrement dans des circonstances où aucune offre n’est en cours, où les actionnaires n’ont pas approuvé le Plan de droits à 15 % et où le processus d’examen stratégique dure depuis plusieurs mois sans qu’une opération ne soit en vue.

Le Tribunal a également précisé que « [TRADUCTION] les acquéreurs ont le droit de procéder à une accumulation rapide et stratégique d’actions sous le seuil de 20 % qui oblige au lancement d’une offre, pour autant qu’ils respectent la législation en valeurs mobilières applicable ». De même, « [TRADUCTION] les acquéreurs ont le droit de participer ou non à une vente aux enchères ou à d’autres processus stratégiques de la société visée ainsi que de publier ou non des observations sur les pratiques de gouvernance des sociétés dans lesquelles ils investissent ».

La durée prolongée du processus d’examen stratégique de Bitfarms était particulièrement pertinente pour le Tribunal. Bitfarms avait d’abord reçu une manifestation d’intérêt d’un tiers en avril 2024 et la période séparant cette manifestation d’intérêt et l’audition de la demande de Riot correspondait à peu près au délai minimal de dépôt de 105 jours prescrit par le régime des offres publiques d’achat.

Le Tribunal a jugé que la preuve fournie par Bitfarms sur l’éventualité que Riot atteigne une position de blocage si elle augmentait sa participation à plus de 15 % des actions émises et en circulation de Bitfarms n’était pas convaincante. Le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si l’existence démontrée d’une position de blocage sous la barre des 20 % pouvait ou non constituer une circonstance exceptionnelle qui permettrait dans d’autres cas le maintien d’un plan de droits des actionnaires comportant un seuil de déclenchement inférieur à 20 %. Étant donné que l’analyse du Tribunal était qualitative plutôt que quantitative, elle risque de soulever de l’incertitude pour l’avenir quant à la question de savoir à quel moment un actionnaire sera considéré comme ayant atteint une position de blocage.

En définitive, le Tribunal a conclu que le Plan de droits à 15 % portait atteinte, de manière réelle et substantielle, aux principes directeurs qui sous-tendent le régime des offres publiques d’achat. Le seuil de déclenchement de 15 % prévu par le plan différait sensiblement du seuil de 20 % prévu par le régime, et aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait cet écart. Le Tribunal a conclu que, en l’occurrence, le fait de permettre le maintien du Plan de droits à 15 % diminuerait la certitude et la prévisibilité inhérentes au régime canadien des offres publiques d’achat et minerait la confiance dans les marchés financiers.

Malgré ces conclusions, le Tribunal a laissé entendre qu’il aurait pu conclure à l’existence de circonstances exceptionnelles s’il y avait eu suffisamment de preuves pour établir que le processus d’examen stratégique de Bitfarms allait vraisemblablement aboutir à une offre ou à une opération à valeur ajoutée digne de foi. Le Tribunal a aussi indiqué que le comportement d’un initiateur ou l’existence d’une position de blocage pourrait dans l’avenir constituer des « circonstances exceptionnelles ». De même, si la période séparant la première manifestation d’intérêt reçue en avril 2024 par Bitfarms et la date de l’audience avait été plus courte que le délai de dépôt minimal de 105 jours, le Tribunal en serait peut-être venu à une conclusion différente. Malgré la décision du Tribunal dans l’affaire Riot Platforms, les plans de droits des actionnaires prévoyant un seuil de déclenchement inférieur à 15 % ou d’autres éléments qui s’écartent des principales caractéristiques du régime des offres publiques d’achat pourraient s’imposer comme tactique défensive à court terme dans des situations contestées comportant des circonstances exceptionnelles.

Davies a représenté Riot Platforms, Inc. dans le cadre de cette instance.

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