Dans le cadre du budget fédéral de 2023 déposé le 28 mars 2023, le gouvernement a présenté un projet de loi visant à instaurer un nouvel impôt de 2 % sur les rachats d’actions. Le projet de loi avait été annoncé initialement en novembre 2022 dans l’Énoncé économique de l’automne. Cet impôt, appelé « impôt sur les rachats » ci après, s’appliquera, entre autres, aux offres publiques de rachat dans le cours normal des activités et aux offres publiques de rachat substantielles, et touchera un vaste éventail d’entités publiques. Si aucun amendement n’est apporté au projet de loi, ses dispositions laissent entendre que l’impôt pourrait aussi s’appliquer dans des circonstances inattendues. Bien que cet impôt soit semblable à l’impôt sur les rachats d’actions récemment instauré aux États-Unis dont il semble être inspiré (voir l’analyse de Davies dans un bulletin antérieur), il en diffère sensiblement sur certains points.
Les principaux éléments de l’impôt sur les rachats proposé peuvent être résumés comme suit :
- Qui paiera l’impôt sur les rachats? L’impôt sur les rachats s’appliquera généralement aux sociétés publiques résidant au Canada, comme il est précisé dans l’Énoncé économique de l’automne. L’impôt visera cependant de nombreuses autres entités publiques résidant au Canada, dont la plupart des fiducies de placement immobilier et des fiducies et sociétés de personnes qui sont des entités intermédiaires de placement déterminées. Les sociétés de placement à capital variable seront exemptées de cet impôt, tout comme les entités qui auront réalisé moins de 1 million de dollars de rachats au cours d’une année d’imposition. Les entités assujetties à l’impôt sont appelées « entités visées » dans le projet de loi.
- Comment calcule-t-on l’impôt sur les rachats? L’impôt sur les rachats correspondra généralement à 2 % de la valeur nette des rachats de capitaux propres réalisés par une entité visée chaque année d’imposition. La valeur nette des rachats correspond à l’excédent de la juste valeur marchande des capitaux propres rachetés (ou acquis ou annulés) par l’entité visée au cours d’une année d’imposition sur la juste valeur marchande des titres de capitaux propres nouvellement émis au cours de la même année d’imposition, sous réserve des exceptions mentionnées ci-après. Pour les besoins de ce calcul, les capitaux propres acquis par certaines filiales affiliées d’une entité visée peuvent être réputés avoir été rachetés par l’entité visée.
- À quel moment l’impôt entre-t-il en vigueur? L’impôt sur les rachats s’appliquera aux rachats effectués à compter du 1er janvier 2024.
L’impôt sur les rachats qui est proposé, et dont la portée est très large, vise toutes sortes de rachats d’actions, et seules quelques exceptions sont prévues. L’impôt s’appliquera notamment de façon générale aux rachats d’actions dans le cadre d’offres publiques de rachat substantielles et d’offres publiques de rachat dans le cours normal des activités. Contrairement à son équivalent américain, l’impôt canadien sur les rachats s’appliquera, peu importe que le prix de rachat soit considéré comme le produit d’une vente ou comme un dividende réputé pour l’actionnaire. Il se peut que le rachat de capitaux propres soit assujetti à la fois à l’impôt canadien sur les rachats et à l’impôt américain, et aucun crédit n’est prévu pour opérer une compensation entre les deux impôts.
L’objet déclaré de l’impôt sur les rachats est d’encourager les sociétés « à réinvestir leurs profits dans leurs travailleurs et leurs entreprises au Canada », quoiqu’il n’est pas clair comment l’impôt proposé contribuera à atteindre ce but. Une explication plus plausible serait que le gouvernement souhaite diminuer les avantages fiscaux particuliers qu’offrent les rachats d’actions par rapport aux dividendes ordinaires, même si, de ce point de vue, l’impôt sur les rachats est un instrument peu nuancé.
L’impôt sur les rachats ne s’appliquera pas aux rachats (ou aux émissions) tombant dans des catégories d’« opérations de réorganisation ou d’acquisition » déterminées, soit, de façon générale, le rachat, l’acquisition ou l’annulation de capitaux propres aux termes d’une fusion ou d’un échange de capitaux propres dans le cadre de laquelle ou duquel la contrepartie est versée au porteur sous forme de capitaux propres uniquement, ou aux termes de liquidations ou de réorganisations papillon.
Toutefois, plusieurs types courants d’opérations ne seraient pas visées par l’exception relative aux réorganisations et seraient par conséquent assujetties à l’impôt sur les rachats. Par exemple :
- L’opération de « fusion par éviction » visant à exclure les actionnaires minoritaires restant après une offre publique d’achat ne semble pas relever de l’exception relative aux réorganisations.
- L’échange d’actions dans le cadre d’une fusion tripartite semble exclu de l’exception relative aux réorganisations et serait assujetti à l’impôt sur les rachats.
- La scission partielle qui n’est pas considérée comme une réorganisation papillon pourrait être assujettie à l’impôt sur les rachats si elle se produit au rachat de capitaux propres et non au versement d’un dividende ou d’un remboursement de capital.
- En raison de certaines règles anti-évitement que comporte l’impôt sur les rachats, il semble que l’échange d’actions échangeables cotées en bourse (émises dans le cadre d’un montage normal avec des actions échangeables) serait également assujetti à l’impôt sur les rachats.
Il semble que l’application de l’impôt sur les rachats à ces situations n’ait pas été intentionnelle, et l’exception relative aux réorganisations pourrait être élargie pour les englober avant que l’impôt n’entre en vigueur.
Par contre, une série beaucoup plus large d’émissions d’actions sont visées par la définition d’une opération de réorganisation ou d’acquisition, de sorte que les actions en cause ne peuvent pas être déduites dans le calcul de la valeur nette des rachats de l’entité. De manière générale, toute émission de capitaux propres par une entité visée sera exclue du calcul à moins que les capitaux propres ne soient émis contre des espèces uniquement ou en faveur d’employés du groupe de l’entité visée.
L’impôt sur les rachats ne s’applique pas aux rachats (ou aux émissions) de capitaux propres privilégiés assimilables à des dettes, appelées « dettes substantielles ». Pour avoir la qualité de dette substantielle, les capitaux propres doivent i) ne pas être convertibles ou échangeables (autrement que pour d’autres dettes substantielles de la même entité); ii) ne pas conférer de droit de vote; iii) être assortis d’un dividende annuel correspondant à un pourcentage fixe du prix d’émission; et iv) ne pas permettre au porteur de recevoir, au rachat, une somme supérieure au prix d’émission initial majoré du montant des distributions impayées. Bon nombre d’actions privilégiées existantes ne répondent pas forcément à toutes ces conditions techniques, et les règles proposées ne prévoient pas d’exception au titre des droits acquis à l’égard des capitaux propres existants.