Bulletin

La SEC publie un rapport remarqué sur la mobilisation de fonds au moyen de la technologie de la chaîne de blocs : les offres initiales de jetons « pourraient être » des placements de valeurs mobilières

Auteurs : Zain Rizvi et J. Alexander Moore

Cette semaine, la Securities and Exchange Commission (la « SEC ») des États-Unis a publié un rapport d’enquête1 (disponible en anglais seulement) confirmant ce à quoi s’attendaient de nombreux intervenants du secteur des chaînes de blocs (blockchain) : selon les faits, l’offre et la vente de jetons de chaînes de blocs à l’occasion d’une offre initiale de jetons (l’ « OIJ ») « pourraient être » assujetties au droit des valeurs mobilières américain. La SEC a notamment souligné que l’OIJ de la Decentralized Autonomous Organization, appelée la « DAO », qui, en mai 2016, a permis de réunir plus de 150 millions de dollars américains, constituait un placement de valeurs mobilières qui n’était pas conforme au droit des valeurs mobilières américain.

Bien qu’elle ait, en définitive, décidé de ne pas porter d’accusations contre l’un ou l’autre des promoteurs de la DAO, la SEC a publié son rapport afin de rappeler à ceux qui utiliseraient des registres distribués ou des moyens fondés sur des chaînes de blocs pour réunir des capitaux qu’ils doivent se demander si les jetons ou les pièces qu’ils envisagent de vendre sont des valeurs mobilières et, si tel est le cas, de prendre les mesures appropriées pour se conformer au droit des valeurs mobilières américain.

L’opinion de la SEC selon laquelle de nombreuses OIJ constituent un placement de valeurs mobilières aura de profondes répercussions sur les entreprises du secteur des chaînes de blocs ainsi que sur les OIJ. Dans son rapport, la SEC confirme que, à moins que ne s’applique une dispense valide, les offres et les ventes de jetons virtuels doivent être inscrites auprès d’elle si les jetons sous-jacents sont réputés constituer une valeur mobilière. La SEC note, en guise d’avertissement, que ceux qui participent à des placements non inscrits pourraient engager leur responsabilité en raison de la violation des lois sur les valeurs mobilières. En outre, la SEC rappelle que les bourses qui permettent la négociation de ces titres doivent s’inscrire auprès d’elle, sauf si elles peuvent se prévaloir d’une dispense en vertu des lois sur les valeurs mobilières.

La SEC n’a pas publié de déclaration générale voulant que tous les jetons de chaînes de blocs offerts à l’occasion d’OIJ soient des valeurs mobilières, laissant ainsi entendre que, dans certaines circonstances, des OIJ pourraient être réalisées sans que ne soient déclenchées les obligations propres au droit des valeurs mobilières. En outre, le rapport de la SEC n’aborde pas la question à savoir si d’autres OIJ très médiatisées, comme la vente de jetons Ethereum qui a permis de recueillir 18 millions de dollars américains en 2014, constituaient un placement de valeurs mobilières. Au vu de la spécificité de la décision de la SEC et du caractère tout à fait particulier de la DAO, il demeure difficile de déterminer dans quelle mesure les OIJ légitimes, dont l’objectif principal est de distribuer des jetons de chaînes de blocs qui remplissent un objet fonctionnel (plutôt que de représenter un intérêt dans une entreprise commune), seront touchées.

Le rapport de la SEC note que si les jetons d’une vente participative (crowdsale) sont réputés constituer des valeurs mobilières, la négociation de ces jetons sur le marché secondaire sera également assujettie aux restrictions propres au droit des valeurs mobilières et toute bourse constituant un marché pour la négociation de tels jetons sera tenue de s’inscrire auprès de la SEC. Ces restrictions et la lourdeur réglementaire entraveraient considérablement la transférabilité de ces jetons, ce qui serait incompatible avec l’objet et la fonction de ces plates-formes décentralisées et qui, dans les faits, contrecarrerait le fonctionnement souhaité de la plupart des applications de chaînes de blocs.

Qu’est-ce qu’une OIJ?

Les offres initiales de jetons, appelées aussi ventes de jetons ou OIJ, constituent un phénomène de mobilisation de fonds relativement nouveau mis de l’avant par des organismes ayant recours à la technologie de la chaîne de blocs, soit le système de registre distribué qui est à la base des cryptomonnaies comme Bitcoin et Ethereum. Contrairement aux techniques de mobilisation de fonds plus traditionnelles, les OIJ servent généralement à assurer le financement participatif du développement et du fonctionnement permanent des plates-formes décentralisées par la vente de « jetons » ou de « pièces » numériques cryptographiques avant que le projet n’ait été développé ou mis en œuvre.

En plus de mobiliser des capitaux, une OIJ offre également aux organismes qui développent des plates-formes décentralisées un moyen de distribuer des jetons aux parties qui souhaiteraient accéder à la plate-forme, rehaussant ainsi le niveau de participation nécessaire pour que le réseau fonctionne convenablement. En parallèle, l’OIJ suscite également de l’intérêt à l’égard du projet proposé et stimule la poursuite du développement de la plate-forme. En ce sens, il est possible d’établir une analogie entre une OIJ et le fait, pour une entreprise, d’offrir à ses clients un produit ou un service qu’elle a développé ou qu’elle est en voie de développer, et d’utiliser les capitaux mobilisés pour financer ses activités.

Qui participe à une OIJ?

Au tout début, l’intérêt suscité par les OIJ se limitait principalement à la communauté des cryptomonnaies, puisqu’il était présumé qu’il fallait un certain niveau d’expérience et de compréhension de l’utilisation et des subtilités des jetons cryptographiques pour participer à ce genre d’initiative. Dans le cas des récentes OIJ, une participation accrue de la part de particuliers et d’investisseurs institutionnels souhaitant obtenir un rendement du capital investi a engendré une plus forte volatilité du prix des OIJ et une attention croissante de la part des médias financiers comme du public investisseur. Bitcoin et les autres cryptomonnaies devenant plus accessibles (par exemple, par le truchement des guichets automatiques locaux délivrant des bitcoins et des applications mobiles), l’expertise technique ne constitue plus un frein à la participation à une OIJ. La popularité des OIJ a donc explosé2 (disponible en anglais seulement), les campagnes fructueuses de Bancor et de Tezos dont les ventes de jetons ont, respectivement, permis de réunir plus de 150 millions de dollars américains et 232 millions de dollars américains, constituant de récents exemples.

Au vu de la fréquence accrue des OIJ et de l’importance des capitaux réunis, certains organismes de réglementation se sont demandés si les OIJ étaient conformes au droit des valeurs mobilières. La Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (la « CVMO ») a rappelé aux entreprises du secteur des chaînes de blocs qu’elles devaient se demander si leurs produits pouvaient être assujettis au droit des valeurs mobilières de l’Ontario3 (disponible en anglais seulement). À l’inverse, Greg Medcraft, actuel président du conseil de la Australian Securities and Investments Commission, a affirmé que les OIJ mettant en cause des cryptomonnaies échappaient vraisemblablement à la compétence des organismes de réglementation des valeurs mobilières (disponible en anglais seulement)4.

Le cas de la DAO

Dans son rapport, la SEC décrit l’enquête qu’elle a menée sur la DAO, qui avait été présentée comme un nouveau type d’organisme qui automatisait la gouvernance et la prise de décisions au moyen de la technologie de la chaîne de blocs, par opposition aux structures d’entreprise conventionnelles. Se présentant, en fait, sous la forme d’un ensemble de contrats exécutés sur la chaîne de blocs Ethereum, la DAO avait pour objectif d’être un véhicule de type capital-risque dirigé par les investisseurs servant au financement de projets faisant appel à Ethereum. À l’occasion de son OIJ de mai 2016, la DAO a réuni des fonds (qu’elle destinait à des projets) en vendant des jetons DAO en échange d’Ethers (jetons de cryptomonnaie exploités sur la chaîne de blocs Ethereum) d’une valeur d’environ 150 millions de dollars américains. Le rendement du capital investi des personnes ayant acheté des jetons DAO au moment de l’OIJ devait prendre la forme d’une part des gains générés par les projets qu’appuyait la DAO.

La SEC a conclu que les jetons émis dans le cadre de l’OIJ de la DAO étaient des valeurs mobilières, confirmant ainsi que le droit des valeurs mobilières s’applique aux organismes qui utilisent les technologies de registre distribué. Dans son rapport, la SEC a appliqué le test bien établi du « contrat d’investissement » (investment contract) énoncé dans la décision SEC v. W.J. Howey Co. et a conclu que, selon ce test, les jetons DAO étaient des valeurs mobilières. Selon la décision Howey, un instrument constitue un contrat d’investissement s’il fait intervenir un investissement dans une entreprise commune fondée sur une attente raisonnable de bénéfices uniquement dérivés des efforts d’un promoteur ou d’une tierce partie.

Dans le cas de la DAO, les détenteurs de jetons offraient clairement une valeur dans l’espoir d’obtenir un rendement uniquement dérivé des efforts des gestionnaires de la DAO, qui auraient, en dernier lieu, toute la latitude voulue pour soumettre des propositions aux investisseurs et qui consacreraient également d’importants efforts de gestion après le lancement de la DAO. La SEC a insisté sur le contrôle qu’exerçaient les gestionnaires à l’égard des propositions soumises à la DAO et sur le fait que les fondateurs de cet organisme étaient chargés d’en superviser et d’en protéger activement le fonctionnement. Ce type de centralisation constitue un trait distinctif clair de la DAO par rapport à d’autres systèmes de chaînes de blocs véritablement décentralisés. Dans son rapport, la SEC n’a pas estimé que d’autres OIJ médiatisées, comme la vente de jetons Ethereum, constituaient un placement de valeurs mobilières.

Les détenteurs de jetons de la DAO eux-mêmes, bien qu’ils se soient vu accorder des droits de vote, n’exerçaient pas de contrôle réel sur l’entreprise, leurs droits de vote étant similaires, aux yeux de la SEC, à ceux d’un actionnaire de société. La SEC a estimé que, dans les faits, les jetons visés par l’OIJ de la DAO ne remplissaient aucun objet fonctionnel si ce n’est de représenter, à l’égard d’un organisme, un mécanisme de distribution de droits analogues à ceux qui sont associés à des actions, sous couvert d’un jeton de chaîne de blocs.

Avertissement au secteur canadien des chaînes de blocs

Jusqu’à présent, la CVMO n’a publié aucune directive quant aux caractéristiques dont serait doté un jeton visé par une OIJ qui serait considéré comme une valeur mobilière en vertu du droit des valeurs mobilières de l’Ontario. Cependant, dans le communiqué de mars 2017 mentionné précédemment, la CVMO prévient que les organismes ayant recours à de telles technologies pourraient être tenus de se conformer aux exigences du droit des valeurs mobilières. En outre, la CVMO affirme ce qui suit : [TRADUCTION] « Les produits ou autres actifs qui font l’objet d’un suivi et qui sont négociés dans le cadre d’un registre distribué pourraient être des valeurs mobilières, même s’il ne s’agit pas d’actions d’une compagnie ou de titres de propriété d’une entité. »

Les sociétés canadiennes du secteur des chaînes de blocs qui envisagent de vendre des jetons numériques doivent être conscientes non seulement des règles canadiennes, mais également des lois de tous les territoires où des jetons pourraient être vendus. La taille du marché américain et le niveau d’intérêt manifesté par les investisseurs américains à l’égard des OIJ à travers le monde signifient que les entreprises de chaînes de blocs créées au Canada compteront vraisemblablement une forte participation américaine. Dans son rapport, la SEC confirme que les parties qui offrent et vendent des jetons numériques qui sont réputés constituer des valeurs mobilières à des personnes situées aux États-Unis doivent s’inscrire auprès de la SEC, signalant ainsi que celle-ci revendiquera sa compétence dans de telles situations.

Conclusion

Le rapport de la SEC devrait recevoir un accueil favorable de la part des entreprises de chaînes de blocs puisque la SEC n’a pas déclaré de manière catégorique que toutes les ventes de jetons numériques constituaient des placements de valeurs mobilières. Mais, malheureusement, ni la SEC ni les organismes de réglementation canadiens n’ont encore fourni de directives détaillées sur les situations dans lesquelles ils considéreraient qu’une vente de jetons constitue un placement de valeurs mobilières. En conséquence, les entreprises de chaînes de blocs devront examiner attentivement les ventes de jetons envisagées afin de savoir si elles pourraient, ou non, être considérées comme un placement de valeurs mobilières par les organismes de réglementation des valeurs mobilières.

1Voir le communiqué de presse contenant un lien menant au rapport : https://www.sec.gov/news/press-release/2017-131.

2« Bankers Ditch Fat Salaries to Chase Digital Currency Riches » https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-07-25/bankers-ditch-fat-salaries-to-chase-digital-currency-riches.

3Communiqué de la CVMO du 8 mars 2017 : https://www.osc.ca/en/news-events/news/osc-highlights-potential-securities-law-requirements-businesses (disponible en anglais seulement).

4« Australia’s Security Watchdog ‘Unlikely’ to Regulate ICOs » : https://www.coindesk.com/asic-on-blockchain-australias-securities-watchdog-unlikely-to-regulate-icos/.

Personnes-ressources

Connexe

Réaliser un profit n’est pas illégal : le Tribunal des marchés financiers rejette une procédure d’application de la loi après avoir déterminé que des actions librement négociables empruntées ne sont pas touchées par la mise en gage d’actions faisant l’objet de restrictions

11 nov. 2024 - Le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le « Tribunal ») a récemment rejeté une procédure d’application de la loi intentée par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « Commission ») contre plusieurs défendeurs dans l’affaire Cormark Securities Inc (Re). La...

>