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Réaliser un profit n’est pas illégal : le Tribunal des marchés financiers rejette une procédure d’application de la loi après avoir déterminé que des actions librement négociables empruntées ne sont pas touchées par la mise en gage d’actions faisant l’objet de restrictions

Le Tribunal des marchés financiers de l’Ontario (le « Tribunal ») a récemment rejeté une procédure d’application de la loi intentée par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « Commission ») contre plusieurs défendeurs dans l’affaire Cormark Securities Inc (Re). La Commission alléguait que le règlement d’une vente à découvert au moyen d’actions librement négociables empruntées dans le cadre d’un prêt de titres garanti par des actions de la même société, lesquelles avaient été émises dans le cadre d’un placement privé et étaient visées par un délai de conservation, constituait un placement de titres entraînant l’obligation de déposer un prospectus. Le Tribunal a catégoriquement rejeté toutes les allégations de la Commission et a rejeté, dans son ensemble, la procédure intentée contre les défendeurs.

Points à retenir

  • Dans une rare victoire pour les défendeurs dans le cadre de procédures d’application de la loi, le Tribunal a établi, le 6 novembre 2024, que ceux-ci n’avaient « rien fait de mal » [traduction] en participant à une série d’opérations (les « Opérations ») aux termes desquelles des actions de Canopy Growth Corporation (« Canopy ») avaient été acquises dans le cadre d’un placement privé (les « Actions faisant l’objet de restrictions ») et données en garantie par l’acheteur afin d’emprunter des actions de Canopy préalablement émises et négociées dans le public (les « Actions librement négociables ») en vue du règlement d’une vente à découvert.
  • Le Tribunal a également reconnu que le règlement de ventes à découvert d’actions d’une société en se servant d’actions qui ont été empruntées dans le cadre d’un prêt garanti par des actions de la même société (même si elles ont été récemment émises dans le cadre d’un placement privé et qu’elles sont visées par un délai de conservation) ne constitue pas un placement de titres illégal, même si le délai de conservation n’est pas encore arrivé à échéance. Il ne s’agit pas non plus d’un placement des Actions faisant l’objet de restrictions aux termes de la « définition élargie » [traduction] d’un placement.
  • Le Tribunal a refusé d’intervenir en s’appuyant sur sa compétence en matière d’intérêt public dans les circonstances, ayant établi que la couverture et la gestion des risques sont des pratiques habituelles et acceptées; les Opérations n’avaient pas nui au maintien des délais de conservation ni menacé le fonctionnement efficace des marchés financiers ou la confiance du public dans ces derniers. En outre, il n’y a aucun mal à ce que des personnes inscrites mettent à profit leurs connaissances et leurs compétences et bénéficient de leurs efforts, ce qui est par ailleurs « ce à quoi l’on s’attend des participants au marché et des personnes inscrites » [traduction].
  • Une décision à l’effet contraire aurait pu entraîner des conséquences importantes sur les activités de couverture et générer de l’incertitude concernant la légalité des stratégies de négociation de titres couramment utilisées, y compris la vente à découvert de titres empruntés dans le cadre d’un prêt garanti par d’autres titres de la même société.
  • La Commission semble avoir entrepris cette procédure dans le but de « légiférer au moyen de mesures d’application de la loi » [traduction]. En effet, le Tribunal a déterminé que les allégations avaient une « portée excessive » [traduction] et a reconnu qu’une « conséquence malheureuse s’en est suivie pour les défendeurs, car la procédure intentée a engendré des répercussions importantes, tant sur le plan financier que sur le plan de la réputation, pour lesquelles ceux-ci ne peuvent obtenir réparation » [traduction].
  • Il sera intéressant de voir si la Commission choisit d’adopter des règles ou des lignes directrices dans la foulée de cette décision.

Contexte

Aperçu des Opérations

Le 17 mars 2017, Canopy, qui était inscrite à la cote de la TSX, a été ajoutée à l’indice composé TSX, ce qui, selon toute attente, était susceptible de stimuler la demande à l’égard de ses actions ordinaires. Valeurs mobilières Cormark Inc. (« Cormark ») a établi la structure suivante pour une série d’opérations afin de tirer profit de la hausse attendue de la demande :

  • Canopy a émis 2,5 millions d’actions ordinaires en faveur de Saline Investments Ltd. (« Saline ») par voie de placement privé, les Actions faisant l’objet de restrictions étant visées par un délai de conservation de quatre mois;
  • Saline a emprunté 2,5 millions d’Actions librement négociables préalablement émises à un initié de Canopy (« Goldman Holdings ») aux termes d’une convention de prêt de titres;
  • Saline a mis en gage les Actions faisant l’objet de restrictions auprès de Goldman Holdings en garantie du prêt des Actions librement négociables;
  • Saline a vendu à découvert 2,5 millions d’actions ordinaires de Canopy à la TSX et a utilisé les Actions librement négociables pour procéder au règlement des ventes à découvert.

Les allégations de la Commission

La Commission a allégué ce qui suit :

  • Les Opérations ont entraîné un placement illégal des actions de Canopy.
  • La conduite des défendeurs relevait de la compétence en matière d’intérêt public du Tribunal.

Le Tribunal a rejeté toutes les allégations de la Commission et a entièrement donné raison aux défendeurs. Les défendeurs comprenaient Cormark, l’ancien chef des marchés des capitaux de Cormark (William Jeffrey Kennedy), Saline, et le dirigeant principal de Saline (Marc Bistricer).

Principales conclusions

Absence de placement visant les actions de Canopy

La Commission a allégué que les Opérations constituaient un placement indirect de titres dans le public sans dépôt de prospectus. Elle a fait valoir que le placement privé auprès de Saline, le prêt de titres et la mise en gage intervenue entre Goldman Holdings et Saline, ainsi que les ventes à découvert par Saline d’actions de Canopy, faisaient partie d’une série d’opérations qui comportaient des achats ou des ventes « dans le cadre d’un placement ou accessoirement à un placement » [traduction], ce qui était visé par ce que l’on appelle la définition élargie du terme « placement » (distribution) et déclenchait l’obligation de déposer un prospectus.

Dans le cadre de son analyse, le Tribunal a reconnu que la définition du terme « placement » (distribution) a un rôle fondamental dans la législation en valeurs mobilières de l’Ontario. Cette définition est libellée de manière à s’entendre du moment du placement initial, lorsqu’un titre devient pour la première fois offert au public, et déclenche l’obligation de communication de l’information prévue à des fins de protection des investisseurs. Dans le cas présent, les Opérations n’ont toutefois pas entraîné la conversion des Actions faisant l’objet de restrictions qui ont été émises dans le cadre du placement privé en Actions librement négociables empruntées aux termes de la convention de prêt de titres. Les deux catégories d’actions n’étaient pas interchangeables, notamment car les Actions faisant l’objet de restrictions portaient une mention indiquant qu’elles faisaient l’objet d’une restriction en matière de revente et comportaient des numéros CUSIP différents. Aucun « placement » n’avait donc lieu, car les Actions librement négociables étaient des titres préalablement émis.

Le Tribunal a conclu que les critères qui figurent dans l’Instruction générale 41-101 permettant de déterminer si un placement aux termes d’un prospectus constitue seulement une opération dans une série d’opérations effectuées à l’occasion d’un placement, ou accessoirement à un tel placement, n’étaient pas respectés, car il n’y avait aucune revente d’Actions faisant l’objet de restrictions sur le marché secondaire. Le Tribunal a également convenu avec les défendeurs que leur intention subjective à l’égard des Opérations ou leur compréhension de celles-ci n’étaient pas pertinentes à son analyse de la question de savoir si un placement avait été réalisé ou non. Le Tribunal a en outre refusé d’appliquer les Instructions générales 45-106 et 45-501, qui renferment des lignes directrices encadrant la capacité d’un preneur ferme de revendre à des investisseurs des titres achetés dans le cadre d’une prise ferme s’il n’y a eu aucun dépôt de prospectus, ayant conclu que Saline n’agissait pas à titre de preneur ferme, que les actions n’étaient pas des titres identiques et que la structure des Opérations n’était pas établie de façon à éviter le dépôt d’un prospectus visant le placement de titres offerts au public pour la première fois.

Opérations ne relevant pas de la compétence du Tribunal en matière d’intérêt public

La Commission a allégué qu’il fallait faire intervenir la compétence du Tribunal en matière d’intérêt public pour les raisons suivantes : (i) Cormark et M. Kennedy ont induit Canopy en erreur au sujet de différents aspects des Opérations; (ii) les défendeurs ont nui à la protection des investisseurs; (iii) la taille des Opérations était prévue de façon à éviter la communication de l’information; (iv) les défendeurs ont menacé l’efficacité des marchés publics et la confiance du public dans ces derniers; et (v) les défendeurs ont omis de se conformer aux normes de convenance et de conduite professionnelle qui s’appliquent aux participants au marché.

Le Tribunal a rejeté chacune de ces allégations.

En premier lieu, le Tribunal a conclu que les éléments de preuve ne venaient étayer aucune des allégations de comportements trompeurs de Cormark et de M. Kennedy. Ni l’un ni l’autre n’avait menti au sujet de la vente à découvert, n’avait dissimulé le ratio des risques par rapport aux avantages pour Saline en lien avec les Opérations, ni omis de faire part des risques à Canopy. En ce qui a trait au ratio des risques par rapport aux avantages pour Saline en particulier, la Commission a allégué que la structure des Opérations avait été établie de façon à ce que Saline puisse réaliser des profits « pratiquement sans risque » [traduction]. Le Tribunal a conclu que « la couverture ou la gestion des risques est une composante normale et acceptable de la participation aux marchés financiers » [traduction] et que « le simple fait qu’une structure puisse réduire ou éliminer les risques ne crée pas une inadéquation entre celle-ci et les principes directeurs de la Loi » [traduction]. Le Tribunal a de plus confirmé qu’« il n’est pas déraisonnable pour les participants au marché d’avoir une expectative de profit » [traduction].

En deuxième lieu, la Commission n’a pas démontré que les Opérations avaient été structurées de façon à permettre à Saline de se soustraire de quelque manière que ce soit aux délais de conservation applicables aux Actions faisant l’objet de restrictions. Les Opérations n’ont pas entraîné la conversion des Actions faisant l’objet de restrictions en Actions librement négociables, et rien n’empêchait Goldman Holdings de prêter ces actions à Saline ni Saline de les utiliser pour le règlement de ses ventes à découvert. De plus, la protection des investisseurs n’était pas menacée par ce que la Commission a désigné comme étant une augmentation du « flottant » [traduction] de Canopy, car aucune nouvelle action de Canopy n’a été négociée sur les marchés publics avant la fin du délai de conservation applicable aux Actions faisant l’objet de restrictions.

En troisième lieu, le Tribunal a conclu que les défendeurs n’avaient pas manqué à leur obligation de communiquer toute l’information de façon complète, véridique et claire par leur omission de déposer un prospectus, ni qu’ils avaient minimisé la communication d’information portant sur les Opérations en temps utile et avec exactitude et efficience. Comme les Opérations ne constituaient pas un placement, il n’y avait aucune obligation relative au dépôt d’un prospectus. De plus, le fait de structurer les Opérations de façon à se conformer aux règles en matière d’opérations d’initiés, comme l’ont fait les défendeurs, n’allait pas à l’encontre des principes directeurs qui sous-tendent ces règles.

En quatrième lieu, le Tribunal a conclu que les ventes à découvert de Saline ne menaçaient pas l’efficacité des marchés financiers ou la confiance du public dans ces derniers. Il a reconnu que les « participants au marché peuvent réaliser, et réalisent, des opérations de négociation pour des raisons qui ne sont pas nécessairement liées aux avantages que présente l’émetteur, et que toutes les activités de négociation, peu importe les raisons pour lesquelles elles sont réalisées, contribuent à la fixation du prix d’un titre » [traduction].

Finalement, les défendeurs n’ont pas omis de se conformer aux normes de convenance et de conduite professionnelle qui s’appliquent aux participants au marché. Cette allégation était fondée sur la prémisse inexacte selon laquelle les Actions faisant l’objet de restrictions avaient été converties en Actions librement négociables ou échangées contre de telles actions. En outre, les défendeurs ont mis à profit leurs connaissances et leurs compétences et ont bénéficié de leurs efforts; il s’agit là, somme toute, « de ce à quoi l’on s’attend de la part des participants au marché et des personnes inscrites » [traduction]. La conduite des défendeurs « n’était pas inappropriée, et nous en venons également à la conclusion qu’aucune preuve n’indique, dans le cas présent, que les Opérations ont causé un préjudice aux investisseurs du public » [traduction].

Davies a représenté Saline Investments Ltd. dans le cadre de cette procédure.

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