L’article suivant a d’abord été publié dans notre Rapport de 2019 sur les marchés des capitaux canadiens.
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À la suite de la légalisation du cannabis à usage récréatif au Canada, en 2018, les marchés financiers canadiens sont devenus un terreau fertile pour le financement des émetteurs du secteur du cannabis, tant étrangers que canadiens. Plusieurs émetteurs du secteur du cannabis sont devenus des sociétés cotées par suite d’une prise de contrôle inversée (une « PCI », aussi appelée acquisition inversée ou fusion inversée) dans le but d’accéder à ces marchés, dont Aurora Cannabis, Curaleaf, Zenabis, MJardin, IGC Resources, Pure Global Cannabis et MedMen. Depuis 2017, 66 émetteurs du secteur du cannabis ont annoncé ou réalisé une PCI.
La Bourse des valeurs canadiennes (la « CSE ») a connu un nombre particulièrement élevé de PCI dans le secteur du cannabis, étant donné que ses règles permettent l’inscription à sa cote de sociétés du secteur du cannabis exerçant des activités aux États-Unis, tandis que la Bourse de Toronto et la Bourse de croissance interdisent aux émetteurs inscrits à leur cote d’exercer des activités dans le domaine de la culture ou de la distribution du cannabis et certaines activités connexes ou d’investir dans des entreprises exerçant de telles activités aux États-Unis.
Comment fonctionne la PCI?
Une PCI est une opération par laquelle une société ouverte (la « SO »), dont les actions sont inscrites à la cote d’une bourse, acquiert toutes les actions d’une société cible (la « SC ») qui possède des actifs d’exploitation ou une entreprise en exploitation, mais dont les actions ne sont pas cotées en bourse. Par suite de l’acquisition, les actionnaires de la SC échangent leurs actions contre des actions de la SO qui, pour sa part, détient les actions de l’entreprise en exploitation (la SC). Une PCI est généralement considérée comme une solution de rechange au premier appel public à l’épargne (un « PAPE ») qui comporte moins de risques à l’exécution et permet d’obtenir un accès plus large aux marchés financiers canadiens.
Pour une PCI, contrairement à un PAPE classique, les documents d’information, en général, ne font pas l’objet d’un examen des commissions des valeurs mobilières, mais seulement de la bourse à la cote de laquelle l’émetteur souhaite s’inscrire. Cette façon de procéder réduit le fardeau réglementaire pour l’émetteur, mais élimine un élément important de la protection des investisseurs.
La structure et la taille des PCI sont variables, mais elles comportent généralement un échange par les actionnaires de la SC de toutes leurs actions de la SC contre des actions de la SO, dont le prix d’émission réputé correspond à la valeur des actifs d’exploitation ou de l’entreprise en exploitation de la SC. Étant donné que la valeur des actifs d’exploitation ou de l’entreprise en exploitation de la SC est généralement beaucoup plus élevée que la valeur de la SO avant l’opération, les actionnaires de la SC finiront par contrôler une majorité importante des actions de la SO à la suite de la PCI.
Qu’est-ce qui explique l’augmentation du nombre des PCI?
La tendance récente à la hausse du nombre des PCI est consécutive au ralentissement du marché des PAPE au Canada et pourrait s’expliquer par le fait que les PCI (i) n’exigent pas nécessairement un financement concomitant ou (ii) sont souvent précédées d’un placement privé de reçus de souscription, permettant ainsi aux sociétés fermées, avant de se transformer en sociétés ouvertes, a) de déterminer l’intérêt des investisseurs, et b) d’obtenir leur financement. En règle générale, lorsqu’une opération de financement a lieu avant la PCI, le produit du financement est entiercé jusqu’à ce que l’émetteur mène à terme la PCI visant son inscription en bourse, faute de quoi les fonds des investisseurs leur sont remis. Quel que soit le cas, la perspective pour un émetteur de devenir une société cotée sans avoir besoin de financement ou en sachant qu’il a obtenu le financement dont il avait besoin réduit considérablement le risque associé au processus d’exécution. En revanche, un PAPE peut nécessiter de la part d’un émetteur le paiement de sommes importantes en honoraires professionnels sans qu’il sache si le marché lui est favorable ou si l’opération, en fin de compte, sera réussie.
Avantages et inconvénients de la PCI
Comme toute opération structurée, la PCI comporte plusieurs avantages et inconvénients.
Avantages :
- réduit le risque associé à l’exécution en permettant aux sociétés fermées de s’introduire en bourse en sachant qu’elles ont déjà leur financement ou même sans financement;
- peut être moins dispendieuse et plus rapide qu’un PAPE;
- ne comporte, en général, pas d’examen de la part des autorités de réglementation, mais seulement de la bourse visée;
- procure une bouée de sauvetage à une SO dormante et plus de liquidité et de valeur aux actionnaires de la SO souhaitant céder leurs actions après l’opération;
- n’impose pas, en général, de responsabilité au titre du prospectus aux administrateurs, dirigeants et actionnaires vendeurs.
Inconvénients :
- nécessite une validation moins poussée du marché de la SC qu’un PAPE;
- nécessite généralement la tenue d’une assemblée des actionnaires de la SO;
- peut être l’objet de discrédit en raison de scandales passés (Sino-Forest) ou du volume des opérations et vue comme une manœuvre;
- entraîne la dilution automatique des actions de la SC (par l’entremise des actions de la SO);
- peut être assujettie à des exigences de parrainage ou de contrôle diligent de la part d’organisations membres de la bourse lorsqu’aucun financement concomitant n’est disponible;
- peut entraîner une restructuration à des fins fiscales et mener à une structure d’entreprise compliquée à la suite de l’opération, comportant le démantèlement des structures de société de portefeuille et de société d’exploitation.
Programmes semblables aux PCI parrainés par les bourses
La Bourse de Toronto et la Bourse de croissance TSX ont toutes deux mis en place des programmes d’échange permettant la réalisation d’opérations et la création de structures qui, sur le plan fonctionnel, produisent les mêmes résultats que les PCI.
En 2008, la Bourse de Toronto a mis en place le programme des sociétés d’acquisition à vocation spécifique (les « SAVS »), qui constitue une autre voie pour l’inscription à la cote de cette bourse. Le programme comporte un processus d’inscription en deux étapes selon lequel la SAVS est d’abord inscrite à titre de société inactive ne possédant que des liquidités et devant réunir au moins 30 millions de dollars. La SAVS doit ensuite, dans les 36 mois suivant son inscription, affecter cette somme à l’acquisition d’une entreprise en exploitation ou d’actifs d’exploitation constituant une acquisition admissible.
Vers la fin des années 1980, la Bourse de croissance TSX a mis en place le programme des sociétés de capital de démarrage (les « SCD »), qui offre un mécanisme différent d’inscription à la cote de cette bourse. Semblable au programme des SAVS, le programme des SCD comporte un processus d’inscription en deux étapes selon lequel la SCD est d’abord inscrite à titre de société inactive ne possédant que des liquidités et devant réunir entre 200 000 $ et 4 750 000 $. Elle doit ensuite, dans les 24 mois suivant son inscription, affecter cette somme à l’acquisition d’une entreprise en exploitation ou d’actifs d’exploitation.
Principaux points à retenir
L’expérience acquise suite à l’utilisation massive des PCI par les émetteurs du secteur du cannabis souhaitant s’introduire en bourse met en évidence trois principaux points concernant les PCI :
- puisque les PCI peuvent être réalisées après l’obtention d’un financement ou sans financement, les émetteurs ont été en mesure d’éviter ou de minimiser les risques de marché et d’exécution associés à leurs opérations de transformation en sociétés ouvertes;
- puisque les PCI peuvent être moins dispendieuses en termes d’honoraires professionnels et d’autres frais et plus rapides que le processus du PAPE, bon nombre d’émetteurs de secteurs « chauds » souhaitant s’introduire sur le marché le plus rapidement possible ont opté pour les PCI;
- puisque la note d’information visant le placement initial n’est pas examinée par les organismes de réglementation des valeurs mobilières, les émetteurs réalisant une PCI peuvent faire l’objet d’un examen supplémentaire de la part de ces organismes au moment du dépôt de leur premier prospectus suivant la PCI.
Il reste à voir si les émetteurs d’autres secteurs d’activité se tourneront avec autant d’enthousiasme vers les PCI que les émetteurs du secteur du cannabis (et, avant eux, les petites sociétés minières), mais pour les émetteurs des marchés plus spéculatifs ou plus « chauds », les PCI resteront une solution de rechange au PAPE intéressante pendant un certain temps.