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La Politique d’inadmissibilité et de suspension révisée : Risquez-vous de perdre votre droit de conclure des contrats avec le gouvernement du Canada?

La nouvelle politique prévoit une plus grande souplesse dans l’évaluation de la conduite d’un fournisseur, mais elle cible un éventail beaucoup plus large d’événements qui déclenchent l’inadmissibilité

Introduction

Le gouvernement du Canada a récemment mis à jour sa Politique d’inadmissibilité et de suspension (la « Politique »). La Politique mise à jour, adoptée par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (« TPSGC ») et en vigueur depuis le 31 mai 2024, comporte des modifications importantes qui pourraient avoir une incidence sur de nombreuses entreprises canadiennes et étrangères.

S’il est vrai que la version révisée de la Politique a introduit une souplesse positive à ce qui constituait l’un des régimes d’intégrité les plus draconiens au monde, elle a en même temps élargi considérablement les circonstances dans lesquelles un fournisseur peut se voir interdire de faire affaire avec le gouvernement fédéral.

Les événements pouvant mener à l’inadmissibilité ou la suspension comprennent les suivants :

  • une condamnation ou un plaidoyer pour certaines infractions à des lois provinciales, dont le délit d’initié, et certaines infractions à des lois provinciales sur le lobbying;
  • une admission du fournisseur ou un jugement civil établissant que le fournisseur s’est livré à une conduite qui constituerait une infraction à une loi fédérale soumise au régime;
  • une déclaration d’inadmissibilité ou d’exclusion par une organisation provinciale, internationale ou étrangère, ainsi qu’une condamnation ou une suspension d’une affiliée ou d’un directeur et, dans certaines situations, d’un cadre supérieur ou d’un gestionnaire;
  • une condamnation ou un plaidoyer de culpabilité relatif au non-respect des règles applicables aux contributions électorales prévues par la Loi électorale du Canada;
  • une condamnation pour infraction à la législation environnementale fédérale, pour un comportement jugé grave, répétitif ou autrement inacceptable.

La Politique révisée prévoit toujours une obligation continue, de la part des fournisseurs, de signaler tout changement survenu dans les renseignements déjà fournis, notamment toute nouvelle accusation ou condamnation les concernant ou concernant leurs affiliées. Aux termes de la Politique, ces changements doivent être communiqués dans un délai de 10 à 22 jours ouvrables, selon qu’une entente a déjà été attribuée ou conclue, ou non. Au titre de la Politique, fournir une attestation ou faire une déclaration fausse ou trompeuse sur un point important concernant la Politique déclenche l’inadmissibilité.

Les fournisseurs qui ont été ou qui sont aux prises avec des problèmes de nature réglementaire ou pénale ou dont une affiliée ou un cadre supérieur se trouve dans une telle situation, voudront comprendre en détail les conséquences de ce nouveau régime.

Analyse

Contexte

Par l’adoption de la Politique, le gouvernement du Canada vise à protéger l’utilisation de fonds publics, à assurer la saine gestion et la transparence et de maintenir la confiance du public à l’endroit des engagements contractuels du Canada.

La Politique s’attaque à tout comportement commercial contraire à l’éthique, qui nuit à la concurrence loyale, menace l’intégrité des marchés, empêche la croissance économique, augmente les coûts et les risques liés à l’exercice d’activités commerciales et ébranle la confiance du public dans les institutions gouvernementales. En adoptant et en révisant la Politique, le gouvernement espère réduire le nombre de contrats que le Canada conclut ou maintient avec des fournisseurs qui affichent un tel comportement. Ce faisant, le gouvernement renforce son engagement en matière de transparence et de gouvernance éthique.

Une souplesse accrue

Le nouveau régime remplace la période d’inadmissibilité obligatoire de 5 à 10 ans prévue par la politique précédente en introduisant une plus grande souplesse dans la détermination de la durée de cette période.

Plutôt que d’être établie automatiquement, la durée de la période d’inadmissibilité sera déterminée par le registraire d’inadmissibilité et suspension (le « registraire »), une fonction nouvellement créée et dont le titulaire est investi d’un pouvoir discrétionnaire considérable.

Pour établir la durée de la période d’inadmissibilité d’un fournisseur, le registraire tiendra compte de la gravité de la conduite du fournisseur ainsi que des mesures prises par celui-ci pour s’assurer que des comportements similaires ne se reproduisent pas. Plus la conduite qui a mené à l’inadmissibilité est grave, plus les mesures prises pour y remédier devront être importantes. Le registraire devra être convaincu que le fournisseur a remédié aux circonstances ayant mené à l’inadmissibilité.

Le registraire peut également suspendre temporairement le droit d’un fournisseur de conclure un contrat avec TPSGC dans certaines circonstances, notamment lorsque des accusations sont pendantes ou lorsque des procédures judiciaires sont en cours.

En tout temps, le registraire peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour conclure une entente administrative avec un fournisseur, qui entraînera un sursis de l’inadmissibilité ou de la suspension. À l’heure actuelle, il est difficile de savoir précisément de quelle façon le registraire entend administrer la politique, et si des mesures comme des ententes administratives seront facilement accessibles aux entreprises qui auront adéquatement corrigé leurs enjeux réglementaires.

La période d’inadmissibilité ne peut pas dépasser 10 ans, à moins que le fournisseur ait perdu son droit de conclure un contrat avec le gouvernement fédéral du Canada en vertu du paragraphe 750(3) du Code criminel. Cette disposition peu connue prévoit qu’une personne déclarée coupable de certaines infractions pénales (notamment constituant ou s’apparentant à des fraudes envers le gouvernement) perd son droit de conclure des contrats avec le gouvernement, et ce, jusqu’à ce que ce droit soit rétabli par le gouverneur en conseil. Quoiqu’une modernisation de cette disposition désuète serait bienvenue, une telle réforme n’entrait pas dans le cadre de l’adoption d’une politique révisée et aurait nécessité un vote au Parlement.

L’introduction d’une plus grande souplesse dans la politique révisée sera bien accueillie par bon nombre de ceux qui considéraient l’ancienne politique comme étant trop restrictive et non conforme aux normes internationales.

Une portée beaucoup plus large

En même temps qu’elle assouplit le cadre de détermination de l’inadmissibilité, la Politique élargit considérablement l’éventail des situations qui déclencheront la détermination d’inadmissibilité d’un fournisseur à conclure un contrat avec TPSGC et avec de nombreux autres organismes fédéraux appliquant la Politique.

Comparativement à son ancienne version, la politique révisée établit une liste beaucoup plus longue des « événements importants » qui entraînent l’inadmissibilité. Cette liste élargie comprend les situations qui, en vertu de l’ancienne politique, rendaient automatiquement un fournisseur inadmissible.

Les « événements importants » suivants déclencheront une inadmissibilité dans l’éventualité d’une déclaration de culpabilité aux infractions suivantes, qui figuraient également dans l’ancienne politique (lorsque l’infraction a été commise au cours des trois dernières années, de façon générale) :

  1. les infractions visées à l’article 750 du Code criminel (fausse inscription ou faux certificat ou rapport, fraude visée à la Loi sur la gestion des finances publiques commise à l’égard de Sa Majesté, fraudes envers le gouvernement et entrepreneur qui souscrit à une caisse électorale, achat ou vente de charges électives, fraude visée à l’article 380 et commise à l’égard de Sa Majesté, vente d’approvisionnements défectueux à Sa Majesté);
  2. la corruption d’un fonctionnaire ou d’un fonctionnaire judiciaire, extorsion, fabrication ou usage de faux, manipulation frauduleuse d’opérations boursières, délit d’initié, falsification de livres et documents, violation criminelle de contrat, commissions secrètes, recyclage des produits de la criminalité ou participation aux activités d’une organisation criminelle, toutes ces infractions étant visées par le Code criminel;
  3. le défaut de fournir une déclaration ou la transmission de renseignements faux ou trompeurs au commissaire au lobbying, en application de la Loi sur le lobbying;
  4. le complot, la conclusion d’arrangements entre concurrents, le truquage d’offres, les indications fausses ou trompeuses ou la documentation trompeuse sur le fait d’avoir gagné un prix, en application de la Loi sur la concurrence;
  5. la présentation de déclarations fausses et trompeuses, en application de la Loi de l’impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d’accise;
  6. la corruption d’agents publics étrangers, au Canada ou à l’étranger, en application de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers;
  7. le trafic, l’importation, l’exportation ou la production de substances, en application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances;
  8. la conclusion d’un contrat de sous-traitance avec un premier sous-traitant inadmissible ou le défaut de mettre fin à un contrat après avoir appris qu’un sous-traitant est inadmissible;
  9. la présentation à TPSGC d’une attestation ou d’une déclaration fausse ou trompeuse sur un point important relativement à la Politique.
  10. La politique révisée prévoit également plusieurs nouvelles circonstances constituant des « événements importants » ou élargit certaines circonstances préexistantes. Les événements suivants comptent parmi les nouveaux événements, en règle générale lorsqu’ils se sont produits au cours des trois dernières années :

  11. avoir fait l’objet d’une condamnation, avoir enregistré un plaidoyer de culpabilité, avoir admis sa culpabilité ou avoir été reconnu coupable (y compris par un tribunal civil) relativement à certaines infractions étrangères ou provinciales qui constitueraient des infractions en vertu des points a), b) ou c) de la liste ci-dessus (les concepts d’infractions provinciales, d’admission et de déclaration de culpabilité par un tribunal civil sont nouvellement introduits);
  12. avoir fait l’objet d’une condamnation ou avoir enregistré un plaidoyer de culpabilité en vertu des lois sur les valeurs mobilières provinciales relativement à la fraude, à la collusion ou aux délits d’initiés;
  13. le financement du terrorisme ou la traite de personnes, en application du Code criminel;
  14. le non-respect des règles applicables aux contributions électorales prévues par la Loi électorale du Canada;
  15. la corruption, via l’offre ou la promesse d’offrir un présent à un percepteur ou gestionnaires de fonds publics ou l’acceptation d’un tel présent, en application de la Loi sur la gestion des finances publiques;
  16. l’organisation de l’entrée de personnes au Canada ou le trafic de personnes, en application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés;
  17. le non-respect des normes réglementaires relatives à la santé et à la sécurité ou aux salaires et aux heures de travail, en application du Code canadien du travail;
  18. être désigné au titre d’un règlement pris en application de la Loi sur les Nations Unies, de la Loi sur les mesures économiques spéciales, de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus ou de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, ou se livrer à des activités interdites en vertu de ces lois;
  19. le registraire établit, à sa discrétion, que le fait de conclure un contrat avec le fournisseur peut porter préjudice à la réputation du système d’approvisionnement fédéral ou que le fournisseur manque d’intégrité ou d’honnêteté en affaires, notamment si ce dernier :
    1. a enfreint le Code de conduite pour l’approvisionnement au cours des trois dernières années;
    2. a été déclaré inadmissible par une administration provinciale ou étrangère, ou par une organisation internationale;
  20. avoir été condamné pour une infraction qui a entraîné l’inscription du fournisseur sur la liste du Registre des contrevenants environnementaux (qui contient des renseignements sur les condamnations prononcées contre certaines entreprises en vertu de lois fédérales sur l’environnement) et que le registraire détermine, à sa discrétion, que ce qui précède est grave, répétitif ou inacceptable;
  21. avoir reçu une évaluation de rendement médiocre en vertu de la Politique de gestion du rendement des fournisseurs de TPSGC, et le registraire détermine, à sa discrétion, que cette évaluation constitue un manquement grave, répétitif ou autrement inacceptable.

Dans certains cas, notamment en présence d’une infraction visée aux points a), b) ou c) ci-dessus, la condamnation ou le plaidoyer d’une affiliée du fournisseur peut entraîner l’inadmissibilité du fournisseur si le registraire est d’avis que le fournisseur a participé, acquiescé ou consenti au comportement de l’affiliée, ou qu’il a dirigé, influence ou autorisé ce comportement.

Une condamnation pour infraction visée aux points a), b) ou c) ci-dessus, de même que la suspension, en vertu de la Politique, d’un propriétaire, d’un fiduciaire, d’un directeur, d’un gestionnaire ou d’un cadre supérieur du fournisseur qui, de l’avis du registraire, a l’occasion de diriger ou d’influencer le fournisseur, entraînera également l’inadmissibilité au titre de la nouvelle politique.

Enfin, la Politique continue d’exiger des fournisseurs qu’ils signalent sans délai tout changement survenu dans les renseignements déjà fournis, toute nouvelle accusation ou condamnation les concernant ou concernant leurs affiliées. Plus précisément, dans le cas des ententes non exécutées, établies ou attribuées, un avis est requis dans un délai de 10 jours ouvrables suivant le changement en question, et de 22 jours ouvrables dans celui des ententes exécutées, établies ou attribuées. La présentation d’une attestation ou d’une déclaration fausse ou trompeuse sur un point important concernant la politique déclenche l’inadmissibilité. Il est donc crucial de respecter ces exigences.

Résumé des principaux changements

Conclusion

Des mesures peuvent être prises pour minimiser le risque d’une conduite allant à l’encontre de la Politique. Ces mesures comprennent la mise en œuvre de processus d’évaluation des risques, la réalisation d’audits internes et le renforcement des programmes de conformité. De plus, il est fortement recommandé de faire appel à des conseillers externes expérimentés chaque fois qu’une organisation fait face à des questions réglementaires pour éviter les écueils qui pourraient non seulement affecter la capacité d’une entreprise de conclure des contrats avec le gouvernement, mais aussi avoir des répercussions néfastes à long terme sur celle-ci.

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