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Un tribunal ontarien applique la défense de la conduite réglementée dans le cadre d’une motion pour jugement sommaire rejetant un recours collectif alléguant un complot d’attribution de marché

Auteurs : Kent E. Thomson, John Bodrug, Matthew Milne-Smith, David Feldman et Michael H. Lubetsky

Le 15 mars 2018, le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté un recours collectif proposé (Hughes v. Liquor Control Board of Ontario) (en anglais) concernant un document-cadre (le « cadre ») signé en 2000 par la Régie des alcools de l’Ontario (la « LCBO ») et le propriétaire-exploitant de The Beer Store, soit Brewers Retail Inc. (« BRI »). Les demandeurs alléguaient notamment que certaines dispositions du cadre constituaient une entente entre la LCBO et BRI pour l’attribution du marché de la vente de bière en Ontario et, de ce fait, étaient visées par l’infraction de complot prévue à l’article 45 de la Loi sur la concurrence du Canada. Selon eux, le cadre restreignait la capacité de la LCBO de vendre de la bière en emballages de plus de six contenants ou de vendre de la bière offerte par BRI aux détenteurs de permis de vente d’alcool, comme les bars et les restaurants. (La LCBO exploite des magasins qui offrent une vaste gamme de produits alcoolisés, y compris de la bière. BRI vend de la bière en emballages de toutes les tailles à ses magasins de bière en Ontario.)

À la suite d’une importante preuve par affidavit et de nombreux contre-interrogatoires, le juge Perell a rendu un jugement sommaire et a rejeté intégralement la demande sans procès. Ce faisant, le juge Perell a appliqué la défense de la conduite réglementée (la « DCR »), concluant que, même si la conduite contestée aurait pu par ailleurs donner lieu à une infraction de complot, la conduite avait été autorisée d’une manière conforme à la législation provinciale.

Le jugement sommaire en matière civile

La décision Hughes constitue le dernier exemple d’une tendance toujours plus importante en litige civil qui est née dans la foulée de l’arrêt rendu en 2014 par la Cour suprême du Canada dans Hryniak c. Mauldin. Dans cet arrêt qui a élargi la portée des jugements sommaires, la Cour suprême a confié aux tribunaux qui entendent des motions pour jugement sommaire la tâche de déterminer s’il y a un véritable enjeu nécessitant la tenue d’un procès à l’égard de chaque question soulevée à la lumière de la preuve figurant dans le dossier de la motion et, dans la négative, d’accorder un jugement sommaire et d’éviter ainsi les frais et délais inutiles liés à un procès. Si le tribunal conclut à l’absence de véritable enjeu nécessitant la tenue d’un procès et que la preuve figurant au dossier de la motion permet au tribunal de « trancher justement et équitablement le litige », une décision contraignante peut être rendue à la lumière du dossier. Comme cette décision et d’autres décisions avant elle l’ont démontré, il est aussi possible d’obtenir un jugement sommaire dans le contexte de recours collectifs, même avant l’étape de la certification.

Si les faits importants ne sont pas contestés, un jugement sommaire peut constituer un outil efficace dans le cadre de recours collectifs et d’autres procédures pour obtenir un règlement relativement rapide et minimiser les coûts.

La DCR est un moyen de défense complet

Comme l’explique la décision Hughes, la DRC a initialement évolué pour régler des conflits potentiels entre la législation fédérale sur la concurrence et les lois provinciales, particulièrement dans le contexte des secteurs d’activité réglementés et des professions autoréglementées. La DCR reconnaît que, à des fins d’interprétation et à certaines conditions, les activités réglementées ne peuvent donner lieu à des infractions pénales.

Après examen de la jurisprudence sur la DCR, le juge Perell a énoncé quatre principes généraux concernant la doctrine, lesquels sont tous bien établis dans la jurisprudence :

  1. La DCR est un principe d’interprétation des lois qui détermine la portée d’une infraction pénale, y compris les contraventions à la Loi sur la concurrence.
  2. Pour que la DCR puisse être invoquée, il est nécessaire, mais insuffisant, que la personne dont la conduite est reprochée soit réglementée par une loi provinciale ou fédérale.
  3. Pour que la DCR puisse être invoquée, il est nécessaire que la conduite reprochée soit exigée, ordonnée ou permise par une loi provinciale ou fédérale.
  4. La personne qui invoque la DCR doit indiquer, dans la loi régissant son secteur d’activité ou sa profession, une disposition qui ordonne ou permet, expressément ou implicitement, à la personne de se livrer à la conduite reprochée.

En se fondant sur ces principes, le juge Perell a déterminé que [TRADUCTION] « la conduite fautive alléguée associée au [cadre] n’en est pas une » puisque la conduite en question était autorisée par la réglementation. Par conséquent, le cadre ne constituait pas une infraction aux termes de la Loi sur la concurrence. La DCR était une réponse complète aux allégations des demandeurs et l’action a été rejetée intégralement. Le juge Perell a également conclu que, même si la DCR n’avait pas constitué un moyen de défense complet en l’an 2000, les modifications apportées en 2015 à la Loi sur les alcools de l’Ontario ont confirmé que la conduite reprochée a toujours été valablement autorisée par la législation provinciale.

Dans la lignée de décisions antérieures rendues par la Cour suprême du Canada et d’autres tribunaux, le juge Perell n’a pas accepté les tentatives des demandeurs visant à restreindre l’application de la DCR aux cas où la conduite reprochée est autorisée par un niveau plus élevé de formalité que celui entourant le cadre ou à restreindre la DCR aux poursuites pénales.

Selon le juge Perell, le cadre s’inscrivait dans les pouvoirs et droits conférés à la LCBO et à BRI par la législation provinciale sur les alcools. Il a souligné que la LCBO avait le pouvoir de conclure des contrats comme le cadre afin de mettre en œuvre son pouvoir réglementaire sans autorisation particulière supplémentaire et qu’aucun texte législatif ni aucune directive n’était nécessaire pour qu’elle signe et mette en œuvre le cadre. Par conséquent, aucune autre autorisation particulière n’était nécessaire pour que la DCR s’applique au cadre. Bien qu’il ait conclu qu’une modification apportée en 2015 à la Loi sur les alcools autorisant explicitement et rétroactivement le cadre aurait suffi pour rendre applicable la DCR, cette modification n’était, selon lui, pas nécessaire pour que la DCR s’applique en l’espèce.

Le juge Perell a aussi rejeté la position des demandeurs selon laquelle les modifications de 2010 à la Loi sur la concurrence, qui ont éliminé le mot « indûment » comme élément de l’infraction de complot, limitaient l’application de la DCR aux seules poursuites pénales. Les demandeurs ont soutenu que la DCR ne pouvait plus être invoquée comme moyen de défense opposable à des actions privées en dommages-intérêts. À l’inverse, le juge Perell a conclu qu’en ajoutant le nouveau paragraphe 45(7) à la loi à ce moment-là, le législateur avait l’intention de préserver l’effet de la DCR dans les demandes civiles. Il a fait observer que l’interprétation des demandeurs aurait pour [TRADUCTION] « résultat absurde » que tant les mandataires de l’État que les entités privées pourraient engager leur responsabilité civile pour une conduite expressément autorisée, ou même exigée, par une loi provinciale valide. Encore une fois, cette décision était compatible avec la jurisprudence existante sur le sujet.

Incidences

La décision Hughes confirme que les défendeurs dont la conduite contestée est autorisée par la loi peuvent régler un litige rapidement avant la tenue d’un procès. La DCR ne s’applique pas à toute conduite dans les secteurs d’activité réglementés, mais la décision Hughes indique que les tribunaux sont prêts à appliquer la DCR d’une façon pratique et raisonnable dans le cadre d’une motion pour jugement sommaire.

Davies a assuré la défense de la LCBO dans le cadre du recours collectif proposé dont il est question dans l’affaire Hughes.

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