Le gouvernement canadien a exercé le pouvoir que lui confère les dispositions sur la sécurité nationale de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC ») pour interdire à Shandong Gold Mining Co., Ltd. (« Shandong »), entreprise d’État chinoise, d’acquérir le producteur d’or canadien TMAC Resources Inc. (« TMAC »). Cette décision vient de nouveau rappeler aux investisseurs étrangers la nécessité de prendre en compte l’application possible des dispositions de la LIC relatives à la sécurité nationale au moment de planifier une prise de participation dans des entreprises canadiennes.
À la suite de l’annonce de cette décision gouvernementale, la société d’exploitation aurifère canadienne Mines Agnico Eagle Limitée (« Agnico ») a annoncé qu’elle avait conclu différentes conventions en vue de faire l’acquisition de TMAC en lieu et place de Shandong1.
La décision
Le 8 mai 2020, Shandong a annoncé qu’elle avait conclu une convention visant l’acquisition de toutes les actions en circulation de TMAC pour une somme d’environ 207 millions de dollars. TMAC, qui est inscrite à la cote de la Bourse de Toronto, détient une participation de 100 % dans le projet d’exploitation aurifère Hope Bay situé au Nunavut, territoire situé dans le Nord canadien.
Conformément à la LIC, l’acquisition était assujettie à l’examen de « l’avantage net pour le Canada », qui tient compte de manière générale de l’incidence qu’une opération est susceptible d’avoir sur des facteurs tels que les niveaux d’emploi et les investissements en capital au Canada. À cette fin, Shandong avait annoncé différents engagements qu’elle était disposée à prendre pour obtenir l’approbation aux termes de la LIC, au nombre desquels figuraient l’augmentation du nombre d’emplois confiés aux employés inuits de TMAC et de la formation axée sur les compétences qui leur est offerte afin d’assurer [TRADUCTION] « le maintien de l’orientation commerciale et des normes de gouvernance appliquées par TMAC ».
L’opération projetée a également fait l’objet d’un examen officiel au titre de la sécurité nationale en vertu de la LIC (annoncé par TMAC le 25 octobre 2020). Ce processus d’examen autorise le gouvernement à bloquer une opération ou à imposer des sanctions lorsqu’il juge qu’un investissement (quelle qu’en soit la taille) porterait « atteinte » à la sécurité nationale du Canada. Le ministre responsable peut notamment interdire ou dénouer l’investissement ou prendre un décret l’assujettissant au respect de conditions visant à « atténuer » le risque perçu d’atteinte à la sécurité nationale du Canada.
L’examen lié à la sécurité nationale de l’acquisition projetée de TMAC par Shandong a été prolongé de 45 jours le 27 novembre 2020. Par la suite, le gouvernement canadien a informé les parties que le Cabinet fédéral avait pris un décret le 18 décembre 2020 interdisant à Shandong de réaliser l’acquisition de TMAC.
L’examen de l’opération projetée au titre de la sécurité nationale n’a pas vraiment causé de surprise, entre autres parce que la signature de la convention d’achat est survenue peu de temps après la publication, en avril 2020, d’un énoncé de politique dans lequel le gouvernement canadien annonçait son intention de soumettre certaines catégories d’investissement étranger à un « examen approfondi » aux termes de la LIC, dont tous les investissements réalisés par des entreprises d’État.
L’une des principales caractéristiques du processus d’examen lié à la sécurité nationale du Canada est son manque de transparence. L’affaire Shandong/TMAC en est l’illustration parfaite. En date du présent bulletin, le gouvernement canadien n’a toujours pas fait de déclaration annonçant sa décision, et encore moins fourni d’explication au soutien de celle-ci. À ce jour, le gouvernement s’est borné à autoriser un porte-parole à confirmer à la presse sa décision de bloquer l’opération projetée. Le porte-parole s’est toutefois refusé à toute déclaration sur les motifs de la décision.
Les relations tendues entre le Canada et la Chine, attribuables notamment à l’arrestation et à la détention en Chine de deux Canadiens accusés d’espionnage dans le sillage de l’arrestation, au Canada en 2018, de Meng Wanzhou, la chef des finances de Huawei Technologies Co. Ltd., en application d’un mandat d’extradition émis par les États-Unis, ne sont probablement pas étrangères à la décision du gouvernement canadien d’interdire l’opération. Le gouvernement libéral actuel, qui était au départ bien disposé envers la Chine, serait en train de réexaminer sa position à l’égard de ce pays, au moins en partie à cause de ces tensions.
Selon les médias, toutefois, ce sont les militaires canadiens qui auraient soulevé des préoccupations au sujet de l’incidence que l’opération projetée était susceptible d’avoir sur les efforts de promotion et de protection de la souveraineté du Canada dans l’Arctique. Ainsi, a été souligné le fait que la mine Doris de TMAC se trouve à environ 100 kilomètres d’une station radar du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (« NORAD ») située à Cambridge Bay, au Nunavut, qui fait partie d’une série d’installations dans l’Arctique destinées à recueillir de l’information et à la transmettre aux centres d’opérations militaires de NORAD. Il a également été question du fait que la mine Doris est située à proximité d’un accès étroit du passage du Nord-Ouest, route de navigation stratégique reliant l’océan Atlantique à l’océan Pacifique.
Si ces informations sont exactes, ce ne serait alors pas la première fois que des préoccupations liées à la souveraineté du Canada dans le Nord mènent au naufrage d’un projet d’investissement étranger au pays. En 2008, avant même l’adoption d’un processus d’examen distinct lié à la sécurité nationale en vertu de LIC, le gouvernement canadien a bloqué la proposition d’un investisseur américain qui souhaitait acquérir une société canadienne de communications par satellite en raison de craintes liées à la perte du contrôle canadien sur des technologies de transmission par satellite qui avaient été élaborées par la société (avec le soutien financier du gouvernement) et servaient à la surveillance des territoires septentrionaux du Canada.
De même, ce ne serait pas la première fois que le gouvernement canadien refuse d’autoriser un investissement chinois parce que l’opération permettrait à une entreprise d’État chinoise d’exercer des activités à proximité d’une installation ou d’un site stratégiquement sensible. En 2015, selon des informations rapportées par les médias, le gouvernement a empêché Beida Jade Bird, une entreprise d’État chinoise spécialisée dans les solutions informatiques et logicielles, d’établir une nouvelle entreprise canadienne – une usine de fabrication d’alarmes incendie et de détecteurs de fumée à Saint-Bruno, au Québec – parce que le site convoité était situé à moins de deux kilomètres d’installations exploitées par l’Agence spatiale canadienne. Beida Jade Bird projetait apparemment de fabriquer des systèmes d’alarme incendie destinés au marché chinois. Fait à noter, le gouvernement du Québec avait accordé un prêt de 3 millions de dollars et une subvention de 1 million de dollars à Beida Jade Bird pour la réalisation du projet. Cet appui provincial n’a cependant pas empêché le gouvernement fédéral de bloquer l’investissement pour des motifs liés à la sécurité nationale.
Chapitre deux
Peu après la décision du gouvernement canadien de bloquer l’acquisition projetée de TMAC par Shandong, la société d’exploitation aurifère Agnico, qui a son siège et sa direction au Canada, a annoncé qu’elle avait conclu des conventions en vue de l’acquisition de toutes les actions en circulation de TMAC en lieu et place de Shandong et moyennant un prix par action supérieur à celui qu’avait offert Shandong. (Le projet d’acquisition s’effectuera par voie de cession, en faveur d’Agnico, de la convention qu’avait signée Shandong, le 8 mai 2020.)
Bien que le gouvernement canadien ne se soit pas exprimé publiquement sur le remplacement de Shandong par Agnico pour l’acquisition de TMAC, il se peut qu’il considère cette substitution comme une démonstration du fait que l’examen lié à la sécurité nationale n’a pas nécessairement pour effet d’empêcher la réalisation d’opérations au Canada ou de porter préjudice aux actionnaires canadiens d’éventuelles sociétés cibles.
Épilogue
La très grande majorité des investissements étrangers réalisés au Canada ne soulèvent aucune préoccupation en matière de sécurité nationale – y compris ceux auxquels sont parties des investisseurs chinois. Cela étant, l’opération Shandong/TMAC illustre avec force la nécessité de procéder à une évaluation des risques dans chaque cas d’espèce, certainement tant que la politique de vigilance accrue du gouvernement canadien demeurera en vigueur (et rien n’indique qu’elle sera abrogée ou assouplie dans un proche avenir).
Comme toujours, les principaux facteurs à considérer incluront le siège de l’acquéreur, l’identité des principaux investisseurs qui détiennent une participation dans l’acquéreur, le fait que l’acquéreur est ou non une entreprise d’État, le type d’entreprise canadienne visée par l’acquisition, et la question de savoir si l’entreprise canadienne est déjà contrôlée par des intérêts étrangers.
L’expérience Shandong/TMAC illustre également l’importance de vérifier la présence d’installations gouvernementales sensibles à proximité de l’entreprise canadienne cible ou l’existence d’autres sensibilités géographiques liées à son emplacement. À titre d’exemple, le comité sur l’investissement étranger des États-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States, ou « CFIUS »), qui est chargé des examens liés à la sécurité nationale dans ce pays, a publié un outil de référence géographique qui permet aux parties de vérifier si une adresse donnée se trouve à proximité d’installations militaires américaines (et donc, si une opération particulière est susceptible pour cette raison d’être assujettie à l’examen du CFIUS). Le Canada, cependant, n’est pas doté d’un tel outil.
Enfin, et quoique cette question n’ait apparemment pas joué dans l’affaire Shandong/TMAC, notons que le nouveau champ d’action des examens liés à la sécurité nationale – tant au Canada qu’à l’étranger – s’étend maintenant aux utilisations (bonnes et mauvaises) que les investisseurs étrangers sont susceptibles de faire des données personnelles que possèdent les entreprises qu’ils ciblent. Cette question de plus en plus préoccupante a conduit les autorités (dont celles du Canada) à mettre en cause, à bloquer ou à dénouer des opérations impliquant des entreprises qui exercent des activités dans des secteurs tels que les services de rencontre, les jeux vidéo, les plateformes de médias sociaux, les assurances hypothécaires et les transferts d’argent. Il est peu probable que ces entreprises se seraient retrouvées sur le radar de la sécurité nationale il y a seulement quelques années.
1 Davies représente Agnico dans le cadre de cette opération.