Plus de dix ans après la publication, en 2009, de ses Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents (les « Lignes directrices de 2009 »), dans lesquelles il décrivait son approche générale à l’égard de l’examen des collaborations entre concurrents en vertu de la Loi sur la concurrence (la « Loi »), le Bureau de la concurrence du Canada (le « Bureau ») a publié, le 6 mai 2021, une version mise à jour des Lignes directrices (les « nouvelles Lignes directrices ») pour aider les entreprises à mieux évaluer leurs projets de collaboration avec des concurrents dans le contexte actuel. Même si, sur le plan pratique, les incidences des changements intégrés dans les nouvelles Lignes directrices pourraient être limitées pour les entreprises ayant adopté des politiques mesurées en vue de se conformer à la législation sur la concurrence, certains des changements visent des domaines dans lesquels le Bureau entend élargir la portée de ses examens ou contestations de collaborations entre concurrents.
Dans le présent bulletin, nous décrivons les principaux éléments des nouvelles Lignes directrices et offrons des conseils aux entreprises pour les aider à éviter les problèmes de conformité aux dispositions criminelles et aux dispositions civiles sur les accords pouvant faire l’objet d’un examen de la Loi.
Fait notable, dans le projet des nouvelles Lignes directrices qu’il avait publié pour consultation en juillet 2020, le Bureau envisageait d’étendre la portée des examens des accords d’achats groupés entre concurrents en vertu de la disposition criminelle, selon l’objet de ces accords. Toutefois, le Bureau a ensuite publié une déclaration précisant qu’il n’examinerait pas les accords entre acheteurs visant l’achat de produits et de services en vertu de la disposition criminelle. En effet, la version définitive des nouvelles Lignes directrices ne reprend pas ce passage du projet de juillet 2020. Cependant, certains participants aux audiences récentes du Comité permanent fédéral de l’industrie, des sciences et de la technologie sur la concurrence au Canada ont proposé que la disposition criminelle soit modifiée de façon à interdire au moins certains types d’accords entre acheteurs, comme les accords de fixation des salaires ou les accords de non-débauchage, afin de l’harmoniser avec l’approche adoptée à l’égard de tels accords dans d’autres pays, dont les États-Unis. (Dans tous les cas, les accords entre acheteurs concurrents demeurent sujets à un examen potentiel de la part du Bureau, conformément aux dispositions de la Loi sur les accords pouvant faire l’objet d’un examen.)
Historique des Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents
Par suite des modifications apportées à la Loi en 2009, certains types d’accords entre concurrents sont devenus des infractions criminelles « en soi » : les accords de fixation des prix, d’attribution de marché ou de restriction de la production ou de l’approvisionnement. Ces accords sont interdits sans qu’il soit nécessaire d’établir qu’ils auraient un effet anticoncurrentiel. Les modifications de 2009 ont également intégré dans la Loi de nouvelles dispositions relatives aux accords pouvant faire l’objet d’un examen, qui permettent au commissaire de la concurrence, qui dirige le Bureau, de contester tout accord entre concurrents susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence. Les lignes directrices qu’a publiées le Bureau sur les collaborations entre concurrents ont apporté des précisions utiles sur l’application des modifications de 2009, notamment à l’égard de la portée de la nouvelle disposition concernant les infractions criminelles « en soi ».
Même si les dispositions concernant les accords pouvant faire l’objet d’un examen et les infractions criminelles « en soi » sont en vigueur depuis 2010, étant donné la jurisprudence limitée concernant ces dispositions, les Lignes directrices de 2009 continuent d’être une source d’information importante pour les entreprises exerçant leurs activités au Canada.
Lignes directrices mises à jour : ce qu’il importe de savoir
1. Élargissement de la définition de complot « en étoile »
Un complot « en étoile » (hub-and-spoke) est un accord entre deux ou plusieurs concurrents qui est conclu indirectement par l’intermédiaire d’un client ou d’un fournisseur commun, sans communication directe entre les concurrents. Les nouvelles Lignes directrices comprennent un nouvel exemple hypothétique d’un accord en étoile illégal entre deux détaillants ayant un fournisseur commun qui laisse supposer que le fournisseur n’a qu’à informer un détaillant des intentions de l’autre détaillant en matière de prix pour qu’un accord de fixation des prix soit réputé conclu entre les deux détaillants. L’exemple laisse également supposer qu’un détaillant pourrait être responsable d’un complot plus large entre détaillants même s’il ne connaît pas tous les autres participants au complot plus large. Cependant, les nouvelles Lignes directrices ne citent aucune autorité judiciaire à l’appui de ces propositions.
Quelle est l’importance de cette nouvelle position du Bureau?
Au cours des dernières années, les autorités internationales en matière de concurrence ont élaboré des théories sur les accords en étoile pour étayer un éventail de mesures d’application de la loi. Même s’il reste à voir si un tribunal canadien donnerait son aval à la définition élargie du complot en étoile que laissent supposer les nouvelles Lignes directrices, le nouvel exemple qui y est énoncé signale qu’il est important de s’assurer que les employés qui traitent avec des clients commerciaux ou les fournisseurs qui traitent avec une entreprise, mais également avec ses concurrents, reçoivent la formation nécessaire pour éviter ne serait-ce que l’apparence d’un accord en étoile avec des concurrents. Les communications entre fournisseurs et clients sur les prix de revente, par exemple, sont devenues encore plus délicates.
Qui est concerné par cette nouvelle position du Bureau?
Cette nouvelle interprétation de la part du Bureau pourrait avoir une incidence sur toute entreprise qui fournit des produits (ou des produits intermédiaires) à des clients en aval concurrents et sur tous clients en aval concurrents qui ont en commun un fournisseur ou des fournisseurs concurrents.
Conseils pratiques
- Rehaussez la formation en matière de conformité en soulignant l’importance d’éviter les communications directes et indirectes entre vous et vos concurrents horizontaux.
- En tant que fournisseur, évitez les discussions avec un client concernant la fixation prévue de prix futurs ou d’autres mesures ou décisions de nature concurrentielle d’un autre client qui est son concurrent.
- De même, en tant que client, minimisez les discussions avec un fournisseur concernant la fixation prévue de prix futurs ou d’autres mesures ou décisions de nature concurrentielle d’un autre fournisseur qui est son concurrent; au moment de vos discussions avec le fournisseur, par exemple, limitez-vous à ce qui est nécessaire pour négocier les modalités qui concernent vos seuls intérêts.
- N’agissez pas comme point central d’un réseau en étoile en facilitant les communications sur les prix ou d’autres sujets sensibles sur le plan de la concurrence entre des clients ou des fournisseurs qui se font concurrence.
- Si une nouvelle proposition ou un nouveau plan d’action constitue un changement substantiel par rapport à vos pratiques commerciales antérieures, conservez des informations sur l’objectif de la proposition ou du plan d’action (la modification d’accords d’approvisionnement en raison de l’évolution de la situation économique ou d’une nouvelle réglementation, par exemple).
- Consultez un avocat en droit de la concurrence avant de communiquer avec des clients au sujet de changements concernant des accords avec un grand nombre de vos clients, particulièrement si les changements ont trait à la fixation des prix ou à d’autres questions sensibles sur le plan de la concurrence.
- Consultez un avocat en droit de la concurrence avant de mettre en œuvre des accords avec des clients comportant des dispositions qui pourraient être considérées comme facilitant les ententes horizontales entre clients concurrents (une clause de la nation la plus favorisée ou une clause sur le maintien des prix, par exemple).
- Conservez les renseignements sensibles sur le plan de la concurrence reçus d’un fournisseur qui est également le fournisseur de vos concurrents, particulièrement si le fournisseur communique des renseignements concernant un concurrent. (Conservez également les renseignements semblables reçus d’un client commun.)
- Consultez un avocat en droit de la concurrence avant d’assister à une réunion organisée par un fournisseur à laquelle assisteront des concurrents dont il est également le fournisseur.
2. Examen potentiellement plus poussé des clauses de non-concurrence faisant partie d’un accord de fusion
Il est déclaré dans les nouvelles Lignes directrices que le Bureau pourrait examiner à la lumière de la disposition criminelle de la Loi les clauses de non-concurrence associées à un accord de fusion dans certaines circonstances exceptionnelles, y compris lorsqu’une telle clause est assimilable à une restriction distincte comme, par exemple, un accord d’attribution de marché. Il est probable que cette nouveauté découle d’une enquête récente du Bureau, dans laquelle celui-ci a prétendu, notamment, que certaines restrictions de non-concurrence violaient la disposition criminelle parce qu’elles avaient une portée excessive et visaient bien plus qu’à simplement empêcher le vendeur de revenir dans la région géographique desservie par les entreprises acquises pour offrir le même type de produit ou un type de produit semblable. (Selon les Lignes directrices de 2009, une clause de non-concurrence faisant partie d’un accord de vente d’actifs ou d’actions entre des parties était un exemple d’accord entre concurrents que le Bureau, en général, ne soumettait pas à un examen en vertu de la disposition criminelle.) Fait notable, la disposition criminelle dispense expressément les accords (y compris les clauses de non-concurrence) si les parties établissent qu’ils sont (i) accessoires et directement liés à un accord plus large ou distinct entre les mêmes parties, et (ii) raisonnablement nécessaires à la réalisation de l’objectif de l’accord plus large ou distinct.
Quelle est l’importance de cette nouvelle position du Bureau?
Il est possible que les nouvelles Lignes directrices révèlent une volonté accrue de la part du Bureau de déterminer si certaines clauses de non-concurrence faisant partie d’une opération de fusion et acquisition sont déraisonnablement larges, c’est-à-dire plus larges que ce qui est nécessaire pour donner effet à l’opération d’achat et de vente connexe – déraisonnablement larges, par exemple, en ce qui concerne le produit, la portée géographique ou la durée. Outre le fait que les clauses de non-concurrence déraisonnablement larges pourraient être non susceptibles d’exécution en common law, il pourrait être justifié, dans certaines circonstances, de donner une portée moins large à de telles clauses pour éviter la possibilité d’un examen poussé de la part du Bureau (et en assurer la force exécutoire).
Qui est concerné par cette nouvelle position du Bureau?
Cette nouvelle façon de faire du Bureau pourrait avoir une incidence sur les entreprises ayant amorcé un projet de fusion ou d’acquisition ou envisageant de le faire.
Conseils pratiques
- Conservez les informations justifiant la portée et la durée des clauses de non-concurrence et soyez prêt à démontrer qu’elles ne sont pas plus larges que nécessaire pour donner effet à l’opération connexe. Sachez, par exemple, que les clauses de non-concurrence qui portent sur des produits qui ne sont pas liés à l’objectif de l’opération sous-jacente, ou qui incluent des territoires non liés à l’opération sous-jacente, peuvent faire l’objet d’un examen poussé de la part du Bureau.
3. Attention accrue aux accords comportant une technologie commune
Les nouvelles Lignes directrices rappellent à bon escient qu’un accord entre concurrents ou concurrents potentiels en vue de l’utilisation d’un algorithme de prix commun pourrait constituer la base d’un accord illégal de fixation des prix. Toutefois, les nouvelles Lignes directrices précisent également que la décision indépendante d’une entreprise d’adopter un algorithme de prix particulier ne constitue pas, en soi, la base d’une infraction pénale.
Quelle est l’importance de cette nouvelle position du Bureau?
La mention expresse de la fixation algorithmique des prix dans les nouvelles Lignes directrices souligne l’importance accordée par le Bureau aux progrès technologiques réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle au cours de la dernière décennie. À l’instar d’autres autorités antitrust ailleurs dans le monde, le Bureau s’est engagé à enquêter sur les complots en matière de fixation des prix comportant l’utilisation d’un algorithme commun.
Qui est concerné par cette nouvelle position du Bureau?
On rapporte que l’utilisation d’algorithmes de fixation des prix a augmenté de façon spectaculaire au cours des quelques dernières années. Par conséquent, une entreprise qui utilise un algorithme de fixation des prix également employé par des entreprises concurrentes doit être particulièrement vigilante.
Conseils pratiques
- Conservez les informations sur les raisons pour lesquelles vous avez adopté un algorithme ou un logiciel particulier, y compris vos motivations sur le plan des affaires.
- Examinez et évaluez périodiquement vos algorithmes pour vous assurer que leur fonctionnement est conforme à la législation en matière de concurrence.
- Étudiez soigneusement toute proposition d’adoption de l’algorithme ou du logiciel de fixation des prix d’un tiers si l’algorithme ou le logiciel est également utilisé par des concurrents.
4. Élargissement de la notion de « concurrent » aux fins des dispositions sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen
Dans les nouvelles Lignes directrices, la notion de « concurrent », aux fins des dispositions de la Loi sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen, est élargie afin d’y inclure les entreprises qui se livrent concurrence à l’égard de produits ou de services autres que ceux sur lesquels porte un accord contesté. Il est précisé dans les nouvelles Lignes directrices, par exemple, que le Bureau peut passer en revue un accord de commercialisation ou un accord de ventes communes même si l’accord ne porte pas sur des produits à l’égard desquels les parties sont des concurrents ou des concurrents potentiels. (Cette position est en rupture avec les directives précédentes, qui indiquaient que les dispositions sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen ne s’appliquaient pas si les parties à un accord de commercialisation ou de ventes communes n’étaient pas des concurrents ou des concurrents potentiels à l’égard des produits faisant l’objet de l’accord.)
Quelle est l’importance de cette nouvelle position du Bureau?
En principe, du moins, l’élargissement de la notion de « concurrent » signifie que le Bureau peut contester un éventail plus large d’accords entre concurrents qu’il juge susceptibles de nuire à la concurrence. Dans de nombreux cas, cet élargissement n’aurait aucune incidence concrète importante étant donné que le Bureau doit établir, pour pouvoir intenter un recours en vertu des dispositions sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen, que l’accord contesté empêche ou diminue sensiblement la concurrence sur un marché pertinent. Cependant, les accords « verticaux » entre clients et fournisseurs peuvent parfois soulever des problèmes de concurrence. Selon cette nouvelle position du Bureau, celui-ci pourrait maintenant enquêter, en vertu des dispositions sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen, sur un accord vertical entre des parties qui se font concurrence à l’égard d’un produit ou d’un service qui n’est pas inclus dans la portée de l’accord vertical.
Les nouvelles Lignes directrices présentent l’exemple – quelque peu ambigu – d’une collaboration continue entre des parties quant au développement d’un produit A (pour lequel elles ne sont pas des concurrents ou des concurrents potentiels), qui pourrait entraîner une diminution des incitatifs à livrer une concurrence vigoureuse quant à un produit B (pour lequel elles sont des concurrents ou des concurrents potentiels). Il est également précisé dans les nouvelles Lignes directrices qu’au moment d’évaluer les effets sur la concurrence à la lumière des dispositions sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen, le Bureau examinera la probabilité que l’accord empêche ou diminue sensiblement la concurrence sur tout marché pertinent et non seulement sur les marchés des produits visés par l’accord.
Qui est concerné par cette nouvelle position du Bureau?
Les entreprises qui collaborent avec des concurrents ou des concurrents potentiels dans le cadre d’accords de commercialisation, de ventes communes, de marketing commun, de distribution commune ou d’autres types d’accords visant un marché de produits sur lequel elles se livrent concurrence sont clairement assujetties aux dispositions de la Loi sur les affaires pouvant faire l’objet d’un examen. L’élargissement de la notion de « concurrent » exprimé dans les nouvelles Lignes directrices signifie que le Bureau pourrait examiner les collaborations entre entreprises même si elles ne se font concurrence qu’à l’égard de produits qui ne sont pas visés par leur collaboration.
Conseils pratiques
- Continuez de respecter les lignes directrices et les procédures existantes concernant les collaborations entre parties se faisant concurrence à l’égard des produits qui sont l’objet de la collaboration.
- Vérifiez si les parties à des collaborations existantes ou proposées sont des concurrents ou des concurrents potentiels à l’égard de produits qui ne sont pas l’objet de la collaboration. Dans l’affirmative, vérifiez si la collaboration pourrait être considérée comme ayant un effet d’exclusion ou un autre effet anticoncurrentiel important sur les clients, les fournisseurs ou d’autres participants au marché.
- Déterminez si les collaborations avec des concurrents pourraient raisonnablement être réputées diminuer la concurrence pour ce qui est de produits en amont ou en aval de la collaboration; une collaboration pourrait, par exemple, avoir une incidence sur des produits qui sont essentiels pour des concurrents en amont ou en aval.