Le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué sur les dépens devant être versés en lien avec la décision qu’il a rendue par jugement sommaire (en anglais) (reportez-vous à notre bulletin du 23 mars 2018) en faveur des défendeurs dans l’affaire Hughes v Liquor Control Board of Ontario. L’affaire en question portait sur un recours collectif proposé contre la Régie des alcools de l’Ontario (la « LCBO »), Brewers’ Retail Inc. (« BRI ») et trois brasseurs (Molson, Labatt et Sleeman) sur la base d’allégations de complot pour la répartition du marché de la distribution de la bière en Ontario. Le juge Perell a accueilli la requête en jugement sommaire des défendeurs et rejeté l’affaire en totalité au motif que les pratiques reprochées étaient le résultat d’une politique gouvernementale provinciale réfléchie, prise de longue date et confirmée récemment et qu’elles étaient donc à l’abri de toute poursuite puisqu’elles ouvraient droit à la défense fondée sur la conduite réglementée qui fait partie du droit canadien depuis maintenant près de cent ans.
Contrairement à diverses provinces canadiennes qui ont mis en place un régime exempt de dépens en matière de recours collectif, l’Ontario applique les règles ordinaires à cet égard. En l’absence de circonstances extraordinaires, les parties qui ont gain de cause ont habituellement le droit de recevoir, de la partie déboutée, une partie de leurs frais. Le défendeur Sleeman a réglé sa réclamation concernant les dépens de manière confidentielle, alors que les autres défendeurs ont réclamé des dépens totalisant presque 2,5 millions de dollars.
La requête concernant les dépens a été plaidée par le Fonds d’aide aux recours collectifs (le « Fonds ») pour le compte des demandeurs. Le Fonds a été mis sur pied par la loi intitulée Law Society Amendment Act (Class Proceedings Funding) dans le but de promouvoir l’accès à la justice en offrant un soutien financier aux avocats des demandeurs dans des affaires précises, en échange de 10 % du montant obtenu suivant un règlement ou jugement. Le Fonds n’est en aucun cas tenu d’offrir son soutien, mais choisit plutôt les affaires dans lesquelles il souhaite l’accorder à la demande des avocats des demandeurs. Le Fonds avait accepté de soutenir les demandeurs dans l’affaire qui nous intéresse et, en conséquence, a accepté de payer les débours des avocats et les dépens. Dans le cadre de la requête portant sur les dépens, le Fonds a soutenu que les défendeurs dans l’affaire Hugues n’avaient collectivement pas droit à plus de 600 000 $ au titre des dépens.
Dans sa décision du 14 août 2018, le juge Perell a entièrement adopté le point de vue des défendeurs, sous réserve d’une réduction des dépens réclamés pour un expert économiste dont le témoignage a été jugé non essentiel à l’issue de l’affaire. Entre autres choses, le juge Perell a souligné que les demandeurs avaient réclamé des dommages-intérêts de 2 milliards de dollars et des intérêts avant jugement qui auraient totalisé presque 1 milliard de dollars. L’affaire était donc d’une importance capitale et constituait une menace pour un régime établi de longue date en matière de distribution de la bière en Ontario. Il était, en conséquence, tout à fait raisonnable que les défendeurs présentent une défense solide.
La décision du juge Perell est un excellent résumé des principes applicables aux dépens dans les recours collectifs. En outre, l’issue de cette affaire nous rappelle que, bien que les défendeurs puissent se trouver face à d’importants incitatifs économiques qui militent en faveur du règlement des recours collectifs même infondés, les tribunaux reconnaissent l’importance de les dédommager s’ils prennent le risque de contester des recours collectifs de manière vigoureuse, mais responsable, et qu’ils obtiennent gain de cause. À l’inverse, même si les recours collectifs offrent une possibilité de bénéfices financiers importants pour les avocats des groupes qui ont la fibre entrepreneuriale (ou le Fonds, s’il décide de s’en mêler), ils comportent également des risques élevés s’ils sont infondés.
Davies a assuré la défense de la LCBO contre le recours collectif proposé dans le cadre de l’affaire Hughes.