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Mieux vaut tard que jamais? Pas dans le cas de l’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants

Auteurs : George J. Pollack et Faiz Lalani

Les administrateurs et les dirigeants qui sont visés par des réclamations en responsabilité, notamment des enquêtes et des procédures d’application de la loi, doivent porter une attention particulière aux dispositions relatives aux avis de leurs polices d’assurance responsabilité civile des dirigeants et administrateurs et veiller à signaler de telles réclamations à leur assureur en temps utile. Tel qu’en atteste une décision récente rendue par la Cour d’appel de l’Ontario, l’omission de ce faire pourrait entraîner un refus d’indemnisation.

Principaux points à retenir

  • En fonction du libellé de la police en question, l’obligation de remettre un avis de réclamation à l’assureur pendant la période de validité de la couverture peut constituer une condition préalable à l’indemnisation d’une police d’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants établie sur la base des réclamations présentées. Ce type de police se distingue de la police établie sur la base de la survenance de l’événement, qui couvre les incidents qui surviennent pendant la période de validité de la couverture, quel que soit le moment du dépôt de la réclamation.
  • Si la remise d’un avis dans le cadre d’une police d’assurance établie sur la base des réclamations présentées est une condition préalable à l’indemnisation et qu’une telle remise n’a pas lieu en temps utile, il sera vraisemblablement impossible de se prévaloir du recours en equity qui permettrait d’obtenir la levée de la déchéance. L’omission de remettre un tel avis sera vraisemblablement considérée comme un « cas de non-conformité », et aucune levée de la déchéance n’est alors possible.
  • S’il est interdit, aux termes de la disposition d’une loi, de divulguer une enquête ou une procédure à l’assureur, les modalités de la loi en question devraient être examinées attentivement. La Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) (LVMO) a été modifiée en décembre 2019 afin de permettre aux personnes visées par des enquêtes confidentielles de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) d’en informer leurs assureurs, sous réserve de certaines conditions.
  • Même lorsqu’une disposition législative interdit la divulgation des modalités d’une enquête confidentielle à l’assureur, l’administrateur ou le dirigeant devrait consulter des conseillers juridiques chevronnés pour déterminer la meilleure façon de procéder dans les circonstances.

La décision

Dans l’affaire Furtado v Lloyd’s Underwriters, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné la question de savoir si la tête dirigeante de certaines entités (l’« administrateur ») avait droit à l’indemnisation conférée par une police d’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants relativement à des réclamations présentées dans le cadre d’une enquête de la CVMO qui a commencé en mars 2019. L’assureur n’a été informé de l’enquête que près de trois ans plus tard, soit en février 2022.

Compte tenu de la communication très tardive de l’information à l’assureur, la Cour devait déterminer si l’administrateur pouvait se prévaloir du recours en equity ouvrant droit à la levée de la déchéance, ce qui lui aurait permis d’accorder à l’administrateur le droit à l’indemnisation en dépit du retard.

L’administrateur a soutenu que son obligation de signaler l’enquête à l’assureur avait été suspendue aux termes d’une ordonnance confidentielle rendue par la CVMO, qu’il n’avait manqué à aucun engagement important auprès de l’assureur et que l’assureur n’avait subi aucun préjudice important. L’administrateur a de plus soutenu que son « respect lacunaire » [imperfect compliance] de la police d’assurance devait être excusé et que son droit à l’indemnisation devait être maintenu.

Il importe de noter qu’en décembre 2019, la LVMO a été modifiée afin de permettre aux personnes visées par des enquêtes confidentielles d’en informer leurs assureurs. En effet, l’administrateur a été avisé de son droit à cet égard par la CVMO à compter du mois de février 2021 (un an avant qu’il fasse mention de la réclamation à son assureur).

La Cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de première instance de refuser la levée de la déchéance. Fait important, la Cour d’appel a établi que « lorsque le libellé d’une police d’assurance établie sur la base de réclamations présentées à l’assuré et déclarées à l’assureur indique explicitement que la présentation et la déclaration d’une réclamation sont les événements déclencheurs qui garantissent l’indemnisation, l’omission de se conformer à une disposition relative aux avis constitue un cas de non-conformité à une condition essentielle de la police d’assurance, ce qui rend impossible la levée de la déchéance » [traduction]. En bref, si une police d’assurance établie sur la base de réclamations présentées prévoit que la remise d’un avis est une condition préalable à l’indemnisation, la levée de la déchéance ne peut être accordée si l’avis n’a pas été remis en temps utile.

Une analyse différente s’applique dans le cas des polices d’assurance établies sur la base de la survenance de l’événement, qui couvrent les incidents qui surviennent pendant la période de validité du contrat, quel que soit le moment du dépôt de la réclamation. Aux termes de ces polices d’assurance, la remise d’un avis ne fait pas partie intégrante de l’événement ouvrant droit à l’indemnisation. La levée de la déchéance demeure par conséquent un recours envisageable en equity.

Répercussions

Compte tenu de l’interprétation stricte qu’a donnée la Cour d’appel aux dispositions relatives aux avis des polices d’assurance établies sur la base de réclamations présentées à l’assuré et déclarées à l’assureur, les administrateurs et les dirigeants ainsi que leurs conseillers juridiques gagneraient à faire preuve de prudence en veillant à respecter rigoureusement les dispositions pertinentes des polices d’assurance responsabilité civile des administrateurs et des dirigeants.

Cette décision nous rappelle également que si, dans le contexte d’une enquête, une ordonnance confidentielle empêchant la remise d’un avis à un assureur a été rendue, les assurés devraient consulter des conseillers juridiques chevronnés pour déterminer la meilleure façon de procéder en ce qui a trait aux communications avec leur assureur et les organismes de réglementation.

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