Bulletin

L’annonce de propositions de modifications marquantes à la Loi sur la concurrence signale une nouvelle ère pour le droit de la concurrence au Canada

Auteurs : Jim Dinning et Umang Khandelwal

Fin novembre 2023, le gouvernement a annoncé d’autres modifications importantes à la Loi sur la concurrence (Canada), qui s’ajoutent à celles déjà examinées par le Parlement dans le projet de loi C-56 et à d’autres promulguées en 2022. Plus précisément, la Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2023 (la « Loi d’exécution de l’EEA ») contient les modifications proposées dans l’exposé économique de l’automne et décrites dans notre récent bulletin.

En outre, le Comité permanent des finances (le « comité des finances ») a récemment proposé d’autres modifications majeures au projet de loi C-56 - un projet de loi existant qui apporterait d’autres modifications importantes à la Loi sur la concurrence.

Les principales modifications proposées au droit de la concurrence au Canada sont présentées ci-dessous et leurs incidences sont examinées plus en détail plus loin :


Élargissement des droits d’action privés pour les comportements susceptibles d’examen au civil

Les modifications apportées en 2022 à la Loi sur la concurrence ont étendu les droits d’action privés aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, mais elles n’ont pas modifié les conditions d’obtention, par les parties privées, de l’autorisation d’engager de telles actions et n’ont pas introduit la possibilité d’obtenir des dommages-intérêts si une partie privée obtient gain de cause.

La Loi d’exécution de l’EEA appliquerait ces mesures supplémentaires, élargirait considérablement l’accès des parties privées au Tribunal et renforcerait les recours offerts aux parties privées. Ces changements pourraient inciter les parties privées à déposer des plaintes, ce qui entraînerait une augmentation de l’activité devant le Tribunal de la concurrence.

  • Champ d’application plus large pour les actions privées. Actuellement, les parties privées peuvent intenter des actions en vertu des dispositions civiles de la Loi sur la concurrence, avec l’autorisation du Tribunal de la concurrence, uniquement en ce qui concerne certaines pratiques commerciales restrictives, comme le maintien des prix, le refus de vendre et l’abus de position dominante. La Loi d’exécution de l’EEA permettra aux parties privées d’intenter des actions (moyennant autorisation) en vertu des dispositions civiles relatives à la publicité trompeuse et aux accords anticoncurrentiels.
  • Élargissement des critères permettant d’obtenir la permission du Tribunal. Pour obtenir la permission du Tribunal, une partie privée doit généralement démontrer qu’elle est directement et sensiblement gênée par le comportement allégué. Les modifications élargiront les critères afin de permettre au Tribunal d’accorder sa permission lorsqu’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Il reste à voir comment le Tribunal interprétera cette orientation législative, et notamment s’il permettra à une plus vaste gamme de parties privées d’engager des actions. En outre, le Tribunal peut désormais permettre un droit d’action privé à l’égard des pratiques restrictives du commerce et des collaborations anticoncurrentielles lorsque le demandeur privé est gêné dans tout ou partie de son entreprise.
  • Renforcement des recours. La Loi d’exécution de l’EEA crée de nouveaux recours pour les demandeurs privés en ce qui concerne les pratiques restrictives du commerce et les dispositions civiles relatives aux accords anticoncurrentiels. Plus précisément, en plus de pouvoir d’ordonner les mêmes recours que ceux dont dispose le commissaire, le Tribunal sera habilité à ordonner la restitution aux personnes gênées (y compris le demandeur et les tiers gênés par la conduite) du « bénéfice tiré du comportement » qui fait l’objet d’une ordonnance. Le renforcement des recours pourrait inciter des parties à intenter des « actions collectives » devant le Tribunal.

La Loi d’exécution de l’EEA soumettra par ailleurs les règlements à l’amiable à l’examen du commissaire une fois que la permission aura été accordée dans le cadre d’une demande privée. Actuellement, en vertu de la Loi sur la concurrence, les parties à une action privée peuvent choisir de régler leur différend au moyen d’un consentement enregistré auprès du Tribunal ou d’un règlement à l’amiable. Un consentement enregistré a la même force et le même effet qu’une ordonnance du Tribunal, et le commissaire puissent demander une ordonnance du Tribunal pour faire modifier ou annuler un consentement enregistré par des parties privées s’il estime que l’accord a ou est susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels. À l’instar des exigences relatives à un consentement enregistré, la Loi d’exécution de l’EEA imposerait aux parties à une action privée qui concluent un règlement à l’amiable une fois que la permission a été accordée une nouvelle obligation consistant à fournir une copie de l’accord de règlement au commissaire. Le commissaire pourrait alors demander au Tribunal de modifier ou d’annuler l’accord de règlement si le Tribunal conclut « qu’il a ou aurait vraisemblablement des effets anti-concurrentiels ». La capacité du commissaire ou du Tribunal à faire appliquer une modification ou une annulation d’un accord de règlement n’est pas claire, étant donné qu'un accord de règlement, contrairement à un consentement, ne serait pas expressément réputé avoir la force d’une ordonnance du Tribunal. Cette exigence pourrait inciter les parties à régler leurs différends avant que la permission ne soit accordée et qu’une action ne soit engagée devant le Tribunal, étant donné qu’il ne serait pas nécessaire de remettre une copie d’un accord de règlement au commissaire dans ces circonstances. Par ailleurs, elle pourrait inciter les parties à demander l’intervention du commissaire afin d’avoir plus de certitude avant de finaliser un règlement à l’amiable.

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Pouvoirs élargis pour contester les accords anticoncurrentiels

Le projet de loi C-56 propose d’élargir les dispositions civiles relatives aux « accords entre concurrents » prévus à l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence afin de permettre au commissaire de contester des accords conclus entre non-concurrents lorsque (i) « l’un des objets importants de l’accord ou de l’arrangement – ou d’une partie de celui-ci – est d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché » et (ii) l’accord ou l’arrangement empêche ou diminue sensiblement la concurrence sur un marché ou aura vraisemblablement cet effet. Actuellement, l’article 90.1 ne s’applique qu’aux accords ou arrangements visant au moins deux concurrents et ne prévoit pas l’obligation de démontrer l’existence d’un objectif anticoncurrentiel en plus d’effets anticoncurrentiels probables.

La Loi d’exécution de l’EEA et les modifications que le comité des finances souhaite apporter au projet de loi C-56 permettraient aux parties privées de demander la permission de contester des accords en vertu de l’article 90.1 (comme il est indiqué ci-dessus) et élargiraient la portée de l’article 90.1 de la manière suivante :

  • Nouveaux recours : En plus de prononcer des ordonnances d’interdiction et d’autoriser les autres recours disponibles sur consentement en cas de comportement contraire à l’article 90.1, le Tribunal aura désormais la capacité de faire ce qui suit :
    i. imposer des sanctions pécuniaires qui ne peuvent dépasser le plus élevé des montants suivants : 10 millions de dollars pour la première ordonnance (et 15 millions de dollars pour chaque ordonnance suivante) ou trois fois la valeur du bénéfice tiré de l’accord (ou, si ce montant ne peut être déterminé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles mondiales de la personne);
    ii. exiger des défendeurs qu’ils prennent toute autre mesure, y compris la cession d’éléments actifs ou d’actions, nécessaire dans le but d’enrayer les effets de l’accord illégal;
    iii. dans les litiges privés, ordonner la restitution d’une somme correspondant à la valeur du bénéfice tiré de l’accord contesté devant être répartie entre les demandeurs privés et les autres personnes touchées par l’accord.
  • Possibilité de contester les comportements antérieurs : Les accords antérieurs pourraient désormais être contestés et faire l’objet de sanctions et d’ordonnances correctives dans les trois ans suivant la fin de l’accord.
  • Élimination de la défense fondée sur les gains en efficience : Conformément aux modifications proposées aux dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l’examen des fusionnements dans le projet de loi C-56, le projet de loi abrogera par ailleurs la défense fondée sur les gains en efficience pour les comportements visés par l’article 90.1.

L’élargissement de la portée de l’article 90.1 aux accords entre non-concurrents et la possibilité pour les parties privées de demander des ordonnances et des paiements financiers n’entrera en vigueur qu’un an après que les modifications correspondantes aient reçu la sanction royale. Toutefois, la possibilité de contester les accords antérieurs dans les trois ans suivant leur fin et la possibilité pour le Tribunal d’imposer des sanctions pécuniaires et des ordonnances correctives plus larges pour rétablir la concurrence prendront effet dès que la Loi d’exécution de l’EEA recevra la sanction royale.

Abus de position dominante : Révision du critère juridique et renforcement des sanctions

Actuellement, trois éléments doivent être réunis pour que le commissaire ou une partie privée puisse établir l’existence d’un abus de position dominante conformément à l’article 79 de la Loi sur la concurrence : (i) une ou plusieurs personnes doivent contrôler sensiblement ou complètement une catégorie ou espèce d’entreprises à la grandeur du Canada ou d’une de ses régions; (ii) au cours des trois années précédentes, cette personne ou ces personnes se livrent ou se sont livrées ou à une pratique d’agissements anticoncurrentiels; et (iii) la pratique a, a eu ou aura vraisemblablement pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans un marché.

Le projet de loi C-56 propose un nouveau cadre pour les abus de position dominante qui appliquerait un critère différent selon que la solution recherchée est : a) une ordonnance d’interdiction (c’est-à-dire une ordonnance interdisant à l’entité en position dominante de se livrer au comportement en question) ou b) d’autres recours, comme des sanctions pécuniaires ou une ordonnance visant à rétablir la concurrence.

Ordonnance d’interdiction

Si le projet de loi C-56 est mis en œuvre, pour obtenir une ordonnance d’interdiction, le commissaire ou une partie privée n’aura qu’à établir (i) qu’une entreprise est dominante (ou qu’un groupe d’entreprises est conjointement dominant); et (ii) que la ou les entreprises se sont livrées à une pratique ayant soit une intention soit un effet anticoncurrentiel.

Plus précisément, lorsque le commissaire ou une partie privée est en mesure d’établir qu’une entreprise dominante s’est livrée à une pratique d’« agissements anticoncurrentiels », c’est-à-dire des agissements « destinés à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence », il ne sera plus nécessaire d’établir que l’agissement contesté empêche ou diminue sensiblement la concurrence ou aura vraisemblablement cet effet. Toutefois, nous nous attendons à ce qu’un défendeur puisse chercher à justifier ses agissements et à éviter une ordonnance d’interdiction fondée uniquement sur l’intention en démontrant que ses agissements avaient une justification commerciale légitime, par exemple en démontrant que leur objectif n’était pas anticoncurrentiel, mais qu’ils visaient plutôt à améliorer l’efficience ou étaient favorables à la concurrence. Il n’est pas clair comment le Tribunal traitera un agissement ayant plusieurs objectifs, dont certains seulement peuvent être considérés comme visant l’exclusion ou comme anticoncurrentiels.

Par ailleurs, tout agissement par une entreprise dominante qui a ou est susceptible d’avoir pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence peut faire l’objet d’une ordonnance d’interdiction sur cette base, à la condition que l’effet ne résulte pas d’un rendement concurrentiel supérieur.

Par conséquent, ces modifications pourraient accroitre considérablement le risque de contestation des agissements des entreprises dominantes au Canada, mais certaines des incidences des modifications restent à préciser et pourraient demeurer floues dans l’attente d’orientations supplémentaires de la part des tribunaux et du Bureau de la concurrence.

Ordonnances de rétablissement de la concurrence et sanctions pécuniaires

Conformément au droit actuel, lorsqu’une entreprise dominante s’est livrée à une pratique d’agissements anticoncurrentiels et que cette pratique empêche ou diminue sensiblement la concurrence ou est susceptible de le faire, le Tribunal reste habilité à ordonner aux entreprises dominantes de prendre d’autres mesures pour rétablir la concurrence et à imposer des sanctions pécuniaires à celles-ci. Toutefois, les sanctions pécuniaires maximales seront augmentées, soit jusqu’à 25 millions de dollars pour une première ordonnance (et jusqu’à 35 millions de dollars pour chaque ordonnance subséquente) ou, si cette somme est plus élevée, trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement ou, si ce montant ne peut être raisonnablement déterminé, 3 % des recettes mondiales brutes annuelles de la personne.

Restitution dans le cadre d’une demande privée

De même, dans le cadre d’une demande privée, lorsque des agissements anticoncurrentiels ont également pour effet ou sont également susceptibles d’avoir pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence, le Tribunal sera désormais autorisé à ordonner la restitution d’un montant n’excédant pas la valeur de l’avantage tiré de la conduite contestée, payable au requérant et à toute tierce partie touchée par l’agissement. Lors de la détermination de la sanction pécuniaire, le Tribunal pourra tenir compte de tout paiement de restitution. Comme nous l’avons mentionné précédemment, le renforcement de ce recours pourrait inciter des parties à intenter des actions collectives devant le Tribunal.

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Élargissement des dispositions relatives à l’abus de position dominante pour inclure l’imposition de « prix de vente excessifs et injustes »

Les modifications apportées au projet de loi C-56 par le comité des finances créent par ailleurs un nouvel agissement anticoncurrentiel, à savoir « l’imposition directe ou indirecte de prix de vente excessifs et injustes ». Il est à noter que cette proposition n’a pas été incluse dans l’ensemble de changements détaillé recommandé dans la soumission du Bureau de la concurrence au gouvernement.

L’expression « prix de vente excessifs et injustes » n’est pas définie et aucune notion similaire ne figure ailleurs dans la Loi sur la concurrence. Cette notion figure toutefois dans le droit de la concurrence de l’Union européenne et d’autres territoires, mais elle n’est pas couramment invoquée. Les tribunaux de l’UE ont évalué si un prix était excessif ou injuste par rapport à une série de valeurs de référence, y compris des mesures des coûts et des prix pratiqués dans d’autres situations ou sur d’autres marchés jugés comparables.

La notion de prix excessifs et injustes est en contradiction avec les approches de longue date du droit canadien de la concurrence, selon lesquelles la possession d’un pouvoir de marché, y compris le pouvoir d’augmenter les prix, n’est pas (en soi) un agissement passible de sanctions, mais peut plutôt être le résultat (éventuellement à court terme) d’un rendement concurrentiel supérieur, y compris grâce à des investissements dans l’innovation. Il reste à voir comment le Tribunal évaluera si un prix est excessif ou injuste. Dans sa version actuellement proposée, cette modification entrerait en vigueur immédiatement dès la sanction royale du projet de loi C-56.

Fusionnements : nouveaux critères pour les transactions devant faire l’objet d’un avis

La Loi d’exécution de l’EEA révise le seuil relatif à la « taille de la transaction » pour les préavis de fusionnement afin d’inclure les ventes d’une société cible « au Canada » générées par des actifs étrangers, en plus des ventes « au Canada ou en provenance du Canada » générées par des actifs canadiens. Cette modification est conforme aux seuils applicables aux avis de fusionnement dans de nombreux territoires étrangers, qui sont souvent fondés sur le « chiffre d’affaires », c’est-à-dire les ventes par emplacement du client. Cela étant dit, le seuil canadien exigera toujours que les ventes à l’exportation réalisées par une société cible « en provenance » du Canada soient incluses dans le calcul, et peut également être satisfait de manière indépendante en fonction de la valeur des actifs de la société cible au Canada.

Si le critère de la « taille de la transaction » (ainsi que le critère existant de la « taille des parties ») peut désormais être rempli compte tenu uniquement des ventes au Canada, il convient de noter que les dispositions relatives aux préavis de fusionnement ne s’appliquent toujours qu’en cas d’acquisition d’une « entreprise en exploitation ». Une entreprise en exploitation est définie comme « entreprise au Canada à laquelle des employés affectés à son exploitation se rendent ordinairement pour les fins de leur travail ». Cela peut signifier qu’une société cible doit encore exercer des activités au Canada, et non simplement réaliser des ventes au Canada à partir d’activités étrangères, pour que l’obligation de fournir un préavis s’applique.

Fusionnements : révision du processus et de la méthode d’examen

La Loi d’exécution de l’EEA propose de prolonger à trois ans après la clôture le délai de prescription pour contester les fusions sans préavis. Toutefois, le délai de prescription d’un an existant est maintenu pour les transactions ayant fait l’objet d’un préavis, y compris les transactions dont la valeur est inférieure aux seuils de préavis et pour lesquelles les parties demandent volontairement l’autorisation du Bureau de la concurrence.

La Loi d’exécution de l’EEA propose également d’abroger le paragraphe 2 de l’article 92 de la Loi sur la concurrence, qui énonce que la conclusion qu’un fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence ne peut être fondée uniquement sur la concentration ou la part de marché. Toutefois, même avec cette modification, on ne voit pas comment la part de marché à elle seule, par exemple en faisant abstraction des barrières à l’entrée, pourrait suffire à établir qu’un fusionnement empêche ou diminue sensiblement la concurrence, et il reste à déterminer comment le Bureau de la concurrence mettra à jour ses Lignes directrices pour l’application de la loi concernant les fusions à la lumière de cette modification.

Une autre modification proposée permet explicitement au Tribunal de rendre une ordonnance corrective lorsqu’il constate qu’un fusionnement diminue sensiblement ou empêche la concurrence sur les marchés du travail. Il n’est pas certain que cette modification aura une incidence concrète sur l’examen des fusionnements, puisque rien n’interdisait auparavant au Tribunal d’examiner les répercussions sur les marchés du travail; cependant, une plus grande attention pourrait être portée aux effets sur les marchés du travail dans le cadre de l’examen des fusionnements par le Bureau de la concurrence.

Le projet de loi C-56 continue par ailleurs de proposer l’élimination de la défense fondée sur les gains en efficience dans le cadre des fusionnements.

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Injonctions provisoires

Une autre disposition introduite par la Loi d’exécution de l’EEA concerne les ordonnances provisoires. Lorsqu’il conteste un fusionnement, le commissaire peut demander une injonction pour empêcher les parties de conclure l’opération. La procédure d’obtention d’une injonction prend un certain temps et certaines parties ont déjà cherché à conclure rapidement une opération avant que le Tribunal ne se prononce sur la demande d’injonction. Le commissaire a fait valoir qu’en l’absence d’une mesure provisoire à court terme pour empêcher la conclusion d’une opération, les parties pourraient être en mesure de conclure une opération avant que le Tribunal ne puisse statuer sur la demande d’injonction provisoire, ce qui rendrait sans intérêt la demande d’injonction. Cette nouvelle disposition empêchera la réalisation d’un fusionnement jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur la demande d’ordonnance provisoire. Cette modification peut rendre plus difficile la réalisation d’un fusionnement face à l’opposition du Bureau de la concurrence.

Initiatives environnementales - Nouveau mécanisme d’autorisation pour les collaborations environnementales et nouvelle disposition concernant l’« écoblanchiment »

La Loi d’exécution de l’EEA propose également deux modifications cadrant avec l’objectif du gouvernement d’accroitre l’attention portée aux questions environnementales.

Premièrement, elle créerait un nouveau mécanisme permettant au commissaire de délivrer un certificat confirmant qu’il estime qu’un accord proposé vise la protection de l’environnement et n’est pas susceptible d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence sur un marché. Lorsque ce certificat serait délivré, les dispositions relatives au complot criminel (article 45 et dispositions connexes) ne s’appliqueraient pas à l’accord. Ce certificat soustraira par ailleurs l’accord proposé aux dispositions civiles relatives aux accords anticoncurrentiels (article 90.1) de la Loi sur la concurrence.

Le certificat serait valide pendant 10 ans (avec possibilité de prorogation sur demande). Toutefois, le mécanisme de certification ne semble pas s’appliquer aux accords existants et ne semble pas non plus être utile pour les accords qui empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence, mais qui présentent des avantages environnementaux compensatoires importants. Il reste à voir si des parties seront disposées à consacrer le temps et les efforts nécessaires à l’obtention de ce certificat, compte tenu des limites de la disposition et de l’obligation de fournir au commissaire toute l’information qu’il exige une fois que le certificat a été demandé.

Deuxièmement, la Loi d’exécution de l’EEA créerait une nouvelle disposition explicite en matière de publicité trompeuse interdisant les déclarations ou garanties « visant les avantages d’un produit pour la protection de l’environnement ou l’atténuation des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques » qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée. Il convient de souligner que cette disposition ne concerne pas les prétentions de performance « verte » autres que celles qui vantent les avantages d’un produit pour la « protection de l’environnement » ou l’atténuation des « effets des changements climatiques ». Toutefois, les dispositions générales de la Loi sur la concurrence concernant la publicité trompeuse peuvent toujours s’appliquer à ces autres prétentions écologiques.

Enquêtes sur les marchés formelles avec pouvoirs de collecte d’information

Dans sa version initiale, le projet de loi C-56 proposait un nouveau régime prévoyant des enquêtes sur les marchés formelles dirigées par le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie (le « ministre »). Dans le cadre de ce régime, le commissaire pourrait demander des ordonnances judiciaires pour contraindre les participants du marché à produire de l’information et des dossiers ou à témoigner. En plus d’un certain niveau de contrôle judiciaire, le régime des enquêtes sur les marchés prévoyait initialement un contrôle ministériel sur la portée des études et imposait certaines obligations procédurales au commissaire.

Les modifications du comité des finances au projet de loi C-56 confèrent au commissaire le pouvoir d’entreprendre des enquêtes sur les marchés, à la seule condition qu’il consulte d’abord le ministre. Le projet de loi permet toujours au ministre d’ordonner au commissaire d’entreprendre une enquête sur un marché. D’autres éléments du régime proposé pour les enquêtes sur les marchés sont inchangés par rapport à la version initiale du projet de loi C-56.

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Autres modifications

Élargissement de la disposition relative au refus de vente

La Loi d’exécution de l’EEA propose des révisions supplémentaires qui élargissent et précisent le champ d’application de la disposition relative au refus de vendre de la Loi sur la concurrence.

La personne qui souhaite intenter une action pour refus de vente doit établir qu’elle a été « sensiblement gênée dans son entreprise » du fait qu’elle est incapable de se procurer un produit de façon suffisante, où que ce soit sur un marché, aux conditions de commerce normales. Ce critère peut être difficile à respecter, puisque certains cas de jurisprudence laissent supposer que l’entreprise de la personne concernée doit être « sensiblement gênée » dans son ensemble. La Loi d’exécution de l’EEA propose de réviser cette norme de manière à ce qu’une personne doive établir qu’elle a été « sensiblement gênée dans tout ou partie de son entreprise ». Cette révision pourrait diminuer la portée des répercussions qu’une personne doit démontrer avoir subies afin d’établir qu’elle a été sensiblement gênée dans son entreprise.

Conformément à la volonté du gouvernement de protéger le « droit à la réparation » des Canadiens, la disposition relative au refus de vendre serait également modifiée pour préciser qu’un « produit » pouvant faire l’objet d’un refus de vendre comprend un « moyen de diagnostic ou de réparation ».

Interdiction des représailles

La Loi sur la concurrence contient déjà des mesures de protection des dénonciateurs qui interdisent à un employeur d’exercer des représailles contre un employé qui signale une conduite criminelle potentielle au commissaire. La Loi d’exécution de l’EEA ajoute de nouvelles dispositions interdisant les « représailles » prises pour punir, discipliner, harceler ou désavantager une autre personne en raison de ses communications ou de sa coopération avec le commissaire, y compris en ce qui concerne les affaires non criminelles. Une demande concernant des représailles peut être introduite uniquement par le commissaire, et les recours comprennent des ordonnances d’interdiction visant à mettre fin au comportement en question, ainsi que des sanctions pécuniaires.

Réduction des frais que le commissaire peut être ordonné de payer

Actuellement, le commissaire peut se voir ordonner de payer une partie des dépens d’une partie ayant gain de cause en vertu de principes juridiques établis. À la suite d’une récente décision obligeant le commissaire à payer des dépens élevés, ce dernier et d’autres commentateurs ont fait valoir que le commissaire, en tant qu’organisme agissant dans l’intérêt public, devrait être protégé contre les futures attributions de dépens défavorables.

La Loi d’exécution de l’EEA propose de permettre aux parties ayant gain de cause d’obtenir une attribution de dépens à l’encontre du commissaire seulement lorsque cela est « nécessaire pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice » ou lorsque « l’absence d’ordonnance aurait un effet négatif important sur la capacité de l’autre partie d’exploiter son entreprise ». En ce qui concerne ce dernier critère, comme les litiges avec le commissaire entraînent des coûts élevés, il existe probablement peu de scénarios dans lesquels une partie serait en mesure de plaider pleinement une affaire avec le commissaire à moins d’avoir les moyens financiers de le faire. Compte tenu de ces modifications, le commissaire pourrait être incité à entreprendre davantage de recours (et peut-être à entreprendre des recours plus audacieux) sans se soucier de l’incidence défavorable potentielle sur les ressources du Bureau de la concurrence.

Prochaines étapes et répercussions

Ces modifications sont l’aboutissement de plus de deux ans de débats et d’une vaste consultation publique sur les changements susceptibles d’être apportés afin de moderniser le cadre du droit de la concurrence au Canada. Le ministre a indiqué qu’aucune autre modification n’est actuellement envisagée.

Le projet de loi C-56 et la Loi d’exécution de l’EEA seront soumis à une procédure législative accélérée, et on s’attend à ce que les propositions fassent l’objet de peu de débats ou de révisions. On ne saurait indiquer avec certitude quand les projets de loi seront adoptés, mais leur adoption est actuellement prévue en décembre 2023 ou au début de 2024. Selon les propositions actuelles, les révisions potentiellement importantes des dispositions relatives à l’abus de position dominante, ainsi que de nombreuses autres modifications, notamment en ce qui concerne les fusionnements et l’écoblanchiment, auront des répercussions dès que la législation modificative aura reçu la sanction royale. Toutefois, l’élargissement du champ d’application des dispositions relatives aux accords anticoncurrentiels pour inclure les non-concurrents, ainsi que les nouveaux droits d’action privés et les recours connexes ne prendront effet qu’un an après la sanction royale.

Les répercussions pour les entreprises exerçant des activités au Canada pourraient être considérables, puisqu’il s’agit des plus importantes modifications apportées à la Loi sur la concurrence depuis au moins 2009.

Plus particulièrement, l’entrée en vigueur immédiate de certaines modifications, dont celles envisagées aux dispositions relatives à l’abus de position dominante, peut susciter des inquiétudes pour les entreprises qui cherchent à comprendre la législation modifiée et à s’y conformer. Par le passé, le gouvernement a retardé d’un an l’entrée en vigueur de certaines modifications importantes de la Loi sur la concurrence afin de permettre aux entreprises de se conformer aux nouvelles dispositions.

Ces modifications représentent une victoire législative d’envergure pour le Bureau de la concurrence, le gouvernement ayant adopté un grand nombre des recommandations de celui-ci qui visaient à élargir la portée de certaines interdictions et à étendre les pouvoirs du Bureau de la concurrence. Compte tenu des récentes augmentations considérables du budget du Bureau de la concurrence, on peut maintenant s’attendre à ce que ce dernier renforce l’application de la loi en fonction des dispositions modifiées. En parallèle, il sera important pour le Bureau de la concurrence de fournir des orientations claires et opportunes aux parties prenantes relativement à son approche et à son interprétation des nouvelles dispositions.

Le groupe de pratique Concurrence de Davies continuera de suivre de près les faits nouveaux concernant les modifications proposées à la Loi sur la concurrence et de vous tenir au courant.

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