Bulletin

Le Bureau de la concurrence publie des orientations sur les prix excessifs et injustes

Auteur : John Bodrug

Comme nous le mentionnions dans un bulletin précédent et une analyse plus approfondie, la Loi sur la concurrence du Canada a récemment été modifiée afin (i) de mettre en place un nouveau cadre plus large pour la contestation des comportements anti-concurrentiels des entreprises en position dominante et (ii) de prévoir expressément que l’imposition directe ou indirecte de prix excessifs ou injustes par une entreprise en position dominante peut constituer un agissement anti-concurrentiel.

Nous avions également relevé que, comme la notion de « prix excessifs et injustes » est floue, la façon dont elle sera appliquée demeure incertaine jusqu’à ce que la justice se prononce sur cette question et que le Bureau de la concurrence publie éventuellement des orientations.

Or, le 7 novembre 2024, le Bureau a publié des orientations préliminaires concernant certains changements apportés récemment à la Loi sur la concurrence, dont la nouvelle disposition relative aux prix excessifs et injustes. Les orientations contiennent une foire aux questions (FAQ), qui présente des renseignements utiles sur l’approche du Bureau à l’égard de la nouvelle disposition.

La FAQ énonce essentiellement ce qui suit :

  • Pour faire l’objet d’une contestation sur le fondement des dispositions relatives à l’abus de position dominante prévues par la Loi sur la concurrence, l’imposition de prix élevés doit (i) être destinée à avoir certains types d’effets négatifs sur un concurrent ou un effet négatif sur la concurrence ou (ii) avoir pour effet de nuire sensiblement à la concurrence.
  • En soi, les prix élevés ne visent normalement pas à avoir cet effet. Ils n’ont d’ailleurs généralement pas cet effet, quelle que soit l’intention.
  • Selon le Bureau, des enquêtes sur les allégations de prix excessifs et injustes ne devraient être menées que rarement.

Les extraits suivants des orientations du Bureau sont particulièrement clairs et utiles :

Est-ce que l’imposition des prix élevés, ou le « gonflement des prix », est un abus de position dominante?

Non, pas à lui seul. Le simple fait d’imposer des prix élevés aux consommateurs n’est généralement pas un abus de position dominante, peu importe à quel point ces prix sont élevés. Par exemple, il ne s’agit habituellement pas d’un abus de position dominante si une entreprise facture des prix élevés pour un produit ou un service limité qui est en forte demande, ou si elle facture à certains clients des prix plus élevés que d’autres.

Un abus de position dominante peut permettre à une entreprise dominante d’augmenter ses prix, mais cela ne signifie pas que les prix élevés constituent un abus de position dominante.

Quand l’imposition de prix excessifs et injustes peut-elle constituer un abus de position dominante?

L’imposition de prix élevés serait un abus de position dominante uniquement lorsqu’elle est commise par une entreprise dominante et qu’elle :

  • soit répond à la définition d’un agissement anti-concurrentiel parce qu’elle est destinée à avoir certains types d’effets négatifs sur un concurrent ou un effet négatif sur la concurrence;
  • soit a pour effet de nuire considérablement à la concurrence.

Si une entreprise impose un prix trop élevé, cela encourage normalement les clients à chercher d’autres options, ce qui aide ses concurrents. Par conséquent, les prix élevés ne visent pas normalement à avoir un effet négatif sur un concurrent.

De même, une entreprise n’impose habituellement pas de prix élevés de sorte qu’elle peut nuire à la concurrence. Les entreprises font des investissements et prennent des risques dans l’espoir de générer des profits. Les prix élevés peuvent donc être la façon dont une entreprise est récompensée pour ces investissements ou ces risques. Les prix élevés peuvent également attirer de nouvelles entreprises à faire leur entrée sur le marché.

Imposer des prix excessifs et injustes pourrait également avoir pour effet de nuire sensiblement à la concurrence […]. Ce sera le cas seulement si les prix eux-mêmes nuisent à la concurrence et ne sont pas simplement élevés parce que la position dominante de l’entreprise lui permet d’imposer des prix élevés.

Le Bureau souligne également que les prix élevés peuvent être la conséquence directe d’un comportement anti-concurrentiel qui peut, indépendamment, faire l’objet d’une contestation fondée sur la Loi sur la concurrence (par exemple, un comportement de la part d’une entreprise en position dominante destiné à exclure des concurrents peut être à l’origine de prix plus élevés que ceux qui seraient normalement en vigueur). En pareil cas, le Bureau serait plus enclin à enquêter sur le comportement qui permet à une entreprise en position dominante d’imposer un prix élevé, et non sur le prix élevé lui-même.

Selon les orientations du Bureau, dans certaines circonstances, l’imposition de prix excessifs et injustes peut être un agissement anti-concurrentiel lorsqu’il s’agit d’un « refus imputé » de fournir un produit. (« Un refus imputé se produit lorsqu’une entreprise dit qu’elle est prête à fournir un produit, mais seulement d’une manière qui signifie que son achat n’est pas une option réelle, par exemple parce qu’il est trop cher. Le résultat est le même que si l’entreprise refusait simplement de fournir le produit. ») De même, il est mentionné dans les orientations que l’imposition de prix élevés peut constituer un élément d’une stratégie utilisée par les entreprises en position dominante qui consiste à lier deux produits ensemble « en facturant un prix excessif et injuste s’ils sont achetés séparément plutôt qu’ensemble ». Cependant, dans ces deux cas, l’existence d’une intention ou d’un effet anti-concurrentiel serait tout de même nécessaire pour établir un abus de position dominante aux termes de la Loi sur la concurrence. (Le refus de fournir un produit peut également faire l’objet d’une contestation fondée sur d’autres dispositions de la Loi sur la concurrence.)

Le Bureau souligne que ses orientations préliminaires sont susceptibles d’évoluer dans le temps. En outre, les tribunaux et le Tribunal de la concurrence ne sont pas liés par ces orientations. À ce propos, il convient de noter qu’à compter du 20 juin 2025, lorsque des parties privées contestent un comportement en se fondant sur les dispositions relatives à l’abus de position dominante, le Tribunal disposera d’un nouveau pouvoir en vue d’ordonner la restitution aux personnes touchées d’une somme pouvant atteindre la valeur du bénéfice tiré du comportement abusif. Dans le cas des litiges privés, un critère plus permissif sera appliqué relativement à l’autorisation d’intenter une action devant le Tribunal (voir le bulletin de Davies dans lequel les changements apportés à la Loi sur la concurrence sont expliqués en détail). Néanmoins, on peut s’attendre à ce que le Tribunal tienne dûment compte des orientations du Bureau dans le cadre des litiges privés intentés sur le fondement des dispositions relatives à l’abus de position dominante prévues par la Loi sur la concurrence.

Personne-ressource

Connexe

Sous les projecteurs : Le Tribunal de la concurrence du Canada rend sa première décision fondée sur les dispositions modifiées de la Loi sur la concurrence concernant les indications trompeuses

21 oct. 2024 - Le Tribunal de la concurrence du Canada (le « Tribunal ») a publié récemment une décision (en anglais seulement) dans laquelle étaient appliquées pour la première fois les dispositions modifiées de la Loi sur la concurrence (la « Loi ») concernant les indications trompeuses. Dans sa...

Le Bureau de la concurrence du Canada adopte une position ferme relativement aux contrôles de propriété dans ses lignes directrices préliminaires en matière d’application de la loi

19 août 2024 - À la suite de l'Étude de marché sur le secteur de l’épicerie de détail de 2023, dans laquelle le Bureau de la concurrence du Canada recommandait que les gouvernements provinciaux et territoriaux prennent des mesures pour restreindre les contrôles de propriété dans le secteur de l’épicerie,...

>