Dans notre tour d’horizon annuel des domaines du droit de la concurrence et de l’examen de l’investissement étranger au Canada, nous examinons les conséquences pratiques qu’auront les tendances de la dernière année dans ces domaines en 2021.
Effets continus de la pandémie de COVID-19 sur l’application de la loi par le Bureau de la concurrence
L’application du droit de la concurrence au Canada a subi le contrecoup des vastes répercussions sociales, sanitaires et économiques de la pandémie de COVID-19. Le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») a publié plusieurs déclarations au cours de l’année 2020 sur les effets de la pandémie sur ses politiques et procédures d’application de la loi. Nous nous attendons à ce que nombre de ces déclarations demeurent valables en 2021.
En avril 2020, par exemple, le Bureau a publié une déclaration au sujet des collaborations entre concurrents précisant « qu’il s’abstiendra généralement d’exercer un contrôle dans la mesure où il y a un impératif clair en faveur de la collaboration d’entreprises à court terme dans le cadre de la réponse à la crise [de la COVID-19] et où les collaborations sont entreprises et effectuées de bonne foi sans dépasser ce qui est absolument nécessaire ». Le Bureau a également indiqué dans cette déclaration que les concurrents qui collaborent ainsi ne doivent pas être motivés par un désir d’atteindre un avantage concurrentiel et qu’il n’aurait « aucune tolérance » en cas de tentative d’abuser de cette flexibilité « en vue de dissimuler un comportement non nécessaire qui enfreindrait la Loi sur la concurrence » (la « Loi »). De plus, en octobre, dans un discours prononcé devant l’Association du Barreau canadien, le commissaire a déclaré que le Bureau allait redoubler ses efforts de vigilance et de sensibilisation pour détecter les collaborations illégales entre concurrents, comme le truquage des offres liées aux marchés publics, le nombre de celles-ci devant d’ailleurs augmenter pour soutenir les mesures de relance liées à la pandémie de COVID-19. L’expérience montre que des circonstances économiques dramatiques peuvent inciter certaines entreprises – même si elles sont bien intentionnées – à conclure des accords inappropriés. Le temps nous dira si les répercussions économiques de la pandémie de COVID-19 se traduiront par un recours accru au programme d’immunité du Bureau ou à une application généralement plus rigoureuse des règles relatives aux cartels.
En mai 2020, le Bureau a annoncé qu’il surveillait activement le marché pour faire cesser les indications trompeuses et pourrait prendre des mesures en cas d’indications pouvant donner une fausse impression aux Canadiens à l’égard de la capacité de produits ou de services à traiter la COVID-19 ou à protéger contre le coronavirus. Le Bureau avait déjà à cette date remis plusieurs avertissements directs à certaines entreprises en matière de conformité et mis en garde l’ensemble des entreprises l’égard des sanctions pécuniaires et des peines d’emprisonnement sévères qu’il pouvait leur imposer en cas de non-conformité à la Loi. En décembre 2020, le commissaire de la concurrence du Canada, Matthew Boswell, a indiqué dans son allocution devant le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes (le « comité INDU ») qu’en réponse aux mises en garde reçues du Bureau, la plupart des entreprises avaient pris des mesures correctrices, soit en retirant les produits visés du marché, soit en supprimant les indications trompeuses. Nous nous attendons à ce que les indications trompeuses faites à l’intention du public demeurent au centre de l’attention du Bureau durant la pandémie.
De plus, le Bureau a discuté de l’incidence de la pandémie sur l’exercice des pouvoirs d’examen des fusions que lui confère la Loi. En mars 2020, le Bureau a annoncé qu’en raison des restrictions liées à la pandémie, il était possible que son personnel ne soit pas en mesure de respecter ses normes de service non contraignantes quant au délai d’achèvement de l’examen de fusions. En pratique, nous n’avons pas encore constaté d’effet substantiel sur les délais d’achèvement de l’examen de fusions. Toutefois, il importe que les entreprises tiennent compte de la possibilité d’examens plus longs lorsqu’elles évaluent et planifient des opérations de fusion en 2021, particulièrement si les gouvernements continuent d’imposer des confinements qui pourraient nuire aux démarches que doit prendre le Bureau pour obtenir en temps utile des renseignements de la part de participants au marché.
L’examen relatif à la sécurité nationale occupe toujours une place importante dans l’examen d’un investissement étranger
La tendance décrite dans notre bulletin de l’an dernier se maintient : les priorités en matière d’application de la Loi sur Investissement Canada (la « LIC »), qui régit l’examen des investissements étrangers au Canada, sont de moins en moins axées sur l’examen de l’« avantage net pour le Canada » et de plus en plus sur des préoccupations de sécurité nationale. Cette évolution coïncide avec une inquiétude croissante concernant les investissements des entreprises d’État étrangères. En décembre, par exemple, TMAC Resources (société aurifère exerçant des activités au Nunavut) a annoncé que le projet d’acquisition de celle-ci par Shandong Gold Mining Co., Ltd. (entreprise d’État chinoise) avait été rejeté par le gouvernement du Canada pour des motifs de sécurité nationale (voir le bulletin de Davies). Nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive au cours de la prochaine année, étant donné surtout que le Canada se préoccupe de plus en plus, en raison de la pandémie de COVID-19, de l’acquisition par des étrangers de certains types d’entreprises canadiennes.
En effet, en avril 2020, le gouvernement fédéral a annoncé (voir notre bulletin) qu’il examinerait les investissements étrangers dans les entreprises canadiennes liées à la santé publique ou participant à l’approvisionnement en biens et en services essentiels et qu’il soumettrait à un « examen approfondi », en vertu de la LIC, tous les investissements d’investisseurs publics étrangers. Étant donné que relativement peu d’opérations sont soumises à l’examen de l’avantage net, compte tenu des limites de plus en plus élevées fixées pour le déclenchement de l’exigence d’un tel examen, la politique du gouvernement sera sans doute mise en œuvre au moyen du processus d’examen lié à la « sécurité nationale », qui n’est assujetti à aucune limite financière. L’énoncé de politique du gouvernement explique que ce contrôle renforcé de certains investissements s’effectuera « jusqu’à ce que l’économie se soit remise des effets de la pandémie de COVID-19 ».
De plus, en juillet, le gouvernement a prolongé le délai dont il dispose en vertu de la loi pour décider de lancer un examen lié à la sécurité nationale. Ainsi, le délai est passé de 45 jours à 60 jours suivant la réception d’une demande d’examen ou d’un avis d’investissement (et est de six mois suivant la clôture dans le cas d’un investissement qui n’est pas visé par l’obligation de demande d’examen ou d’avis d’investissement). En outre, la durée totale d’un examen lié à la sécurité nationale est passée de 200 jours à 260 jours ou davantage si les parties en conviennent. Ces prolongations étaient en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020; en l’absence de mesures de la part du gouvernement à cet égard, nous nous attendons à ce que les délais habituels soient rétablis en 2021.
Portée et importance accrues possibles de l’argument de la déconfiture de l’entreprise dans les examens de fusions
Le contexte économique résultant de la pandémie de COVID-19 créera les conditions dans lesquelles se feront les fusions en 2021 tout en influant sur l’application de la législation s’appliquant aux fusions. Il n’est sans doute pas surprenant que la pandémie ait eu un effet important sur le nombre d’opérations de fusion examinées par le Bureau en 2020. Selon les statistiques du Bureau, une forte augmentation de 13 % des examens de fusions a été constatée au premier trimestre de 2020 par rapport au même trimestre de 2019, qui a été suivie de baisses de 55 % et de 40 % aux deuxième et troisième trimestres, respectivement, par rapport aux mêmes trimestres de 2019. La situation ne semble pas non plus s’être améliorée au quatrième trimestre de 2020, les examens de fusions en octobre et en novembre ayant subi une baisse de 33 % par rapport à l’année précédente. Par conséquent, il sera important de voir si, en 2021, la tendance s’inversera au fur et à mesure que l’économie se remettra des effets de la pandémie.
Dans ces conditions, il est possible de se demander si le Bureau accordera un plus grand poids à l’argument de la « déconfiture » de l’entreprise dans son examen des fusions. La Loi stipule expressément que le Bureau peut tenir compte, lorsqu’il examine une fusion, de « la déconfiture, ou [de] la déconfiture vraisemblable de l’entreprise ou d’une partie de l’entreprise d’une partie au fusionnement réalisé ou proposé ». Si ce critère est rempli, la diminution effective ou future de la concurrence liée à l’entreprise en déconfiture n’est pas attribuée au fusionnement proposé. Dans les faits, le Bureau a interprété le critère de l’entreprise en déconfiture plutôt strictement, considérant que l’acquéreur doit démontrer la probabilité que l’entreprise cible, si elle n’est pas acquise, quitte le marché pour cause d’insolvabilité, de faillite ou de mise sous séquestre. Il s’agit d’une exigence considérable, de sorte que l’argument de la déconfiture de l’entreprise n’a réussi que dans peu de cas. En avril 2020, par exemple, le Bureau a donné le feu vert à la fusion de Total Metal Recovery Inc. (« TMR ») et de American Iron & Metal Company Inc. (« AIM »), les deux plus grandes entreprises de traitement de rebuts métalliques au Québec. Le Bureau est arrivé à la conclusion, dans cette affaire, que TMR était une entreprise en déconfiture et qu’il était probable que ses actifs soient retirés du marché en l’absence de la fusion.
Étant donné les répercussions économiques importantes des restrictions liées à la COVID-19 et la volonté d’empêcher la disparition définitive d’emplois au Canada, certains observateurs du marché ont demandé l’élargissement de la portée de l’argument de la déconfiture de l’entreprise aux entreprises affaiblies en raison de la pandémie. Même si le Bureau n’a pas fait expressément référence à la pandémie lorsqu’il a annoncé sa décision d’autoriser la fusion de TMR et d’AIM, certains observateurs souhaitent voir cette décision comme un signe d’assouplissement possible de la position du Bureau. Toutefois, en septembre 2020, la sous-commissaire de la Direction des fusions du Bureau a précisé dans un article que le Bureau n’avait pas l’intention d’assouplir ses exigences pour permettre l’acquisition d’entreprises affaiblies par la pandémie. Par conséquent, même si nous nous attendons à ce que l’argument de la déconfiture de l’entreprise soit employé plus fréquemment au cours de la prochaine année, les parties à une fusion qui envisagent d’invoquer cet argument ne doivent pas s’attendre à ce que la pandémie de COVID-19 leur ouvre la voie.
Intérêt continu du Bureau pour les participations minoritaires
Comme nous l’avons mentionné dans notre bulletin de l’an dernier, le Bureau continue d’examiner la participation des actionnaires minoritaires dans les parties fusionnantes et demande souvent à cette fin des renseignements détaillés sur les parties fusionnantes. Nous nous attendons à ce que les actionnaires minoritaires demeurent au centre de l’attention du Bureau cette année. Les mesures d’application de la loi prises par le Bureau dans le but de limiter l’actionnariat commun dans des entreprises concurrentes pourraient avoir un effet dissuasif général sur les investissements, être inexécutables en pratique et soulever d’autres questions de nature juridique et politique. Il reste à voir si le Bureau chercherait à faire obstacle à une opération pour le seul motif qu’un même investisseur détient des participations minoritaires sans contrôle dans des entreprises concurrentes. Pour l’instant, les demandes de précisions du Bureau sur les participations minoritaires peuvent entraîner des retards dans l’examen d’une fusion et peuvent soulever des problèmes de divulgation ou de non-disponibilité de l’information pour l’acquéreur.
Priorisation continue de l’application de la loi à l’économie numérique
Comme nous l’avons mentionné dans des bulletins antérieurs, depuis sa nomination en 2019, le commissaire Boswell a souvent répété que le Bureau compte prioriser l’application de la loi à l’économie numérique. Il a expliqué que cette attention découle tout naturellement de la « croissance fulgurante » de l’économie numérique, qui « signifie que le numérique est maintenant plus important pour notre économie que bon nombre des secteurs plus traditionnels ».
La Vision stratégique du Bureau de la concurrence pour 2020-2024 et son Plan annuel 2020-2021 : Protéger la concurrence en période d’incertitude confirment la priorité qu’accordera le Bureau à l’application de la loi au secteur numérique au cours de la prochaine année. La Vision stratégique décrit l’objectif du Bureau de « devenir un organisme de la concurrence de calibre mondial, qui est à l’avant-garde de l’économie numérique et qui favorise une culture axée sur la concurrence au Canada ». Pour réaliser cet objectif, le Bureau s’est engagé i) à protéger les Canadiens grâce à l’application de la loi, ii) à promouvoir la concurrence au Canada et iii) à investir dans les ressources dont il a besoin pour être au diapason de l’économie numérique. Le Plan annuel, comme la Vision stratégique, exprime la priorisation du numérique, tout en décrivant les mesures concrètes que prendra le Bureau pour réaliser chacun des trois objectifs fixés. Par exemple, le Bureau s’est engagé à poursuivre ses mesures d’application de la loi en se concentrant sur des secteurs économiques clés (comme les services numériques, le marketing en ligne et les services financiers) et à continuer de faire progresser la détection précoce grâce à diverses techniques. En ce qui concerne la promotion de la concurrence, le Bureau s’est engagé à continuer de travailler avec les décideurs politiques, particulièrement dans les secteurs de la santé et des télécommunications, et à continuer de jouer un rôle de chef de file au niveau international.
Au cours de la dernière année, le Bureau a conclu un consentement avec Facebook et a ouvert une enquête sur les pratiques commerciales d’Amazon concentrée sur un abus potentiel de position dominante. Ces affaires n’ont pas atteint l’ampleur des enquêtes menées par les autorités semblables des États-Unis et de l’Union européenne (l’« UE »), qui ont récemment entamé des actions très médiatisées contre Facebook et Amazon, mais nous nous attendons à ce que l’économie numérique demeure au centre des préoccupations du Bureau au cours de la prochaine année.
Chevauchement croissant du droit de la vie privée et du droit de la concurrence
Nous prévoyons que le Bureau, à mesure que nous avancerons dans l’année 2021, poursuivra ses efforts pour étendre le champ d’application de la Loi à des domaines touchant aux préoccupations en matière de protection de la vie privée. Nous nous attendons, par exemple, à ce que le Bureau continue d’enquêter sur des déclarations faites à l’intention de consommateurs concernant la protection des renseignements personnels qui pourraient contrevenir aux dispositions de la Loi concernant les indications trompeuses.
Ces efforts de la part du Bureau sont bien illustrés par le consentement qu’il a conclu avec Facebook en 2020. Le Bureau avait reproché à Facebook d’avoir utilisé les renseignements d’utilisateurs de son application Messenger d’une manière qui contrevenait aux indications données dans ses politiques relatives à la protection de la vie privée. Facebook a convenu de payer une sanction administrative pécuniaire de 9 millions de dollars et de cesser de donner des indications trompeuses concernant la protection de la vie privée de ses utilisateurs.
On craignait que les incursions du Bureau dans la législation sur la protection de la vie privée n’entraînent une « guerre de territoire » bureaucratique entre celui-ci et le Commissariat à la protection de la vie privée, qui est le principal responsable de l’application de la législation fédérale sur la protection de la vie privée au Canada. Cependant, des efforts semblent avoir été déployés pour apaiser les craintes et promouvoir la coopération entre les deux autorités. En novembre 2020, par exemple, le Bureau, en collaboration avec le Commissariat à la protection de la vie privée et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, a envoyé des lettres à 36 sociétés d’applications mobiles pour leur faire part de certaines préoccupations concernant leurs pratiques publicitaires et leur traitement des renseignements personnels. De plus, le projet de loi fédéral concernant la protection de la vie privée déposé en novembre 2020, s’il est adopté, augmentera la possibilité pour le commissaire à la concurrence et le commissaire à la protection de la vie privée de partager des renseignements sur leurs activités. Il importe donc que les entreprises exerçant des activités au Canada soient conscientes du risque accru de voir leurs déclarations quant à la protection de la vie privée examinées à la fois par le commissaire à la concurrence et le commissaire à la protection de la vie privée.
Nouvelles lignes de conduite concernant les collaborations entre concurrents
En plus de publier des éclaircissements concernant les collaborations entre concurrents dans le cadre de la pandémie de COVID-19, le Bureau a publié, en juillet 2020, une version préliminaire de ses Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents révisées, et a invité le public à lui faire part de ses commentaires sur les changements proposés. Il s’agit de la première révision de ces lignes directrices depuis leur adoption en 2009. La consultation publique a pris fin en septembre 2020 et nous nous attendons à ce que la version définitive des lignes directrices révisées soit publiée en 2021.
La version préliminaire des lignes directrices révisées n’a mis en évidence aucun changement majeur quant à l’application de la loi par le Bureau en ce qui concerne les collaborations entre concurrents, mais a tout de même soulevé quelques points intéressants. Dans la version actuelle des lignes directrices, par exemple, le Bureau laisse entendre qu’il examinerait les clauses de non-concurrence des conventions de fusion à la lumière des dispositions civiles de la Loi plutôt qu’en vertu de la disposition criminelle sur les complots. Toutefois, la version préliminaire des lignes directrices révisées indique la possibilité que le Bureau examine les clauses de non-concurrence d’opérations d’achat et de vente en vertu de la disposition criminelle visant les cartels dans certains « rares cas ». Elle laisse entendre, par exemple, qu’il est possible qu’une clause de non-concurrence soit examinée en tant qu’infraction éventuelle à la disposition criminelle lorsqu’elle « peut équivaloir à un accord sur l’attribution des marchés ». Malheureusement, la version préliminaire des lignes directrices révisées ne donne pas d’autres exemples de clauses de non-concurrence pouvant faire l’objet d’un examen en vertu de la disposition criminelle de la Loi, ni de précision sur la façon dont le Bureau est susceptible d’examiner de telles clauses.
Dans le même ordre d’idées, la version préliminaire des lignes directrices révisées contient une nouvelle mise en garde indiquant que le Bureau peut enquêter sur une fusion en vertu de la disposition criminelle sur les complots de la Loi si les parties à la fusion sont des concurrents et concluent un accord « allant au-delà de l’acquisition, de la fusion ou de l’association d’intérêts, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur dudit accord ». Cette déclaration semble découler d’une enquête qu’a récemment conclue le Bureau sur une opération de fusion dans laquelle les parties auraient également convenu de mettre fin à certaines de leurs activités concurrentielles se recoupant une fois l’opération de fusion réalisée.
De plus, la version préliminaire des lignes directrices révisées contient un examen approfondi des complots « en étoile » (hub-and-spoke). Un complot en étoile est une entente horizontale entre concurrents facilitée par un non-concurrent (habituellement un client ou un fournisseur des parties au complot). Il est précisé dans la version actuelle des lignes directrices, à l’égard de tels complots : « Lorsqu’un accord intervient entre des parties qui sont des concurrentes et des parties qui ne le sont pas, le fait que certaines parties ne se livrent pas concurrence ne met pas les parties qui sont des concurrentes à l’abri d’une poursuite en vertu de l’article 45 ». La version préliminaire des lignes directrices révisées est plus explicite : « un commerçant de gros qui facilite un complot de fixation des prix entre ses clients détaillants peut être considéré comme ayant participé au complot même s’il ne livre pas concurrence à ceux-ci sur le marché de détail ». Ces nouvelles précisions semblent également découler d’enquêtes récentes du Bureau dans lesquelles il avait reproché à des parties à un niveau de la chaîne d’approvisionnement d’avoir facilité un complot entre des parties à un autre niveau de celle-ci. Toutefois, cette position du Bureau n’a pas encore été avalisée par un tribunal du Canada.
Enfin, bien qu’il ne l’ait pas inclus dans la version préliminaire des lignes directrices révisées, le Bureau a depuis indiqué qu’il avait l’intention d’inclure dans leur version définitive un examen de l’application éventuelle des dispositions criminelles de la Loi aux accords entre acheteurs concurrents. La question de ces accords a été soulevée avant tout à l’égard de prétendus accords de non-débauchage et de fixation des salaires et d’autres modalités d’emploi entre concurrents. Le 27 novembre 2020, le Bureau a publié une déclaration sur ce sujet qui laisserait présager la position qu’il adoptera probablement dans la version définitive des lignes directrices révisées. Dans cette déclaration, le Bureau a indiqué que, bien qu’il considère que de tels accords entre acheteurs soulèvent des préoccupations, le libellé de la disposition criminelle sur les complots vise les accords entre concurrents concernant la « fourniture » de produits et de services, et non l’« achat » de produits et de services, comme les services d’employés. Si les accords entre acheteurs posent des problèmes de concurrence, le Bureau enquêtera sur ces accords en vertu de la disposition civile de la Loi interdisant les accords anticoncurrentiels entre concurrents. Contrairement à la disposition criminelle sur les complots, cette disposition civile ne permet pas d’imposer des sanctions telles que des amendes et des peines d’emprisonnement; le Bureau est donc limité surtout à rendre des ordonnances exigeant des parties qu’elles mettent fin au comportement reproché.
Campagne continue du Bureau en faveur de la réforme de la Loi sur la concurrence
En mai 2019, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie a publié une lettre ouverte adressée au nouveau commissaire Boswell, l’invitant à voir s’il y avait lieu d’apporter des modifications à la Loi afin d’accroître son influence et son efficacité. Le commissaire a profité de sa récente présence devant le comité INDU de la Chambre des communes pour présenter un aperçu de la liste des révisions que pourrait souhaiter le Bureau.
En réponse aux questions du comité INDU, le commissaire a laissé entendre que les sanctions financières étaient inadéquates et auraient un effet plus dissuasif si elles étaient proportionnelles à la taille de l’entreprise fautive, comme les sanctions imposées par les autorités en matière de concurrence de certains autres pays. Le commissaire a également suggéré que l’éventail des comportements visés par les sanctions administratives pécuniaires soit étendu (ces sanctions sont actuellement limitées aux cas d’abus de position dominante et de pratiques commerciales trompeuses). Enfin, le commissaire a mentionné à plusieurs reprises le fait que le Bureau n’a pas le pouvoir, en vertu de la Loi, d’effectuer des « études de marché » significatives ou d’imposer des « codes de conduite » aux industries, contrairement aux autorités en matière de concurrence de certains autres pays (comme le Royaume-Uni ou l’Australie), qui ont établi des codes de conduite régissant les relations entre les détaillants en alimentation et leurs fournisseurs, par exemple.
Certains éléments de la liste des révisions souhaitées du Bureau y figurent depuis longtemps, comme l’étendue des pouvoirs du Bureau à la réalisation d’études de marché. D’autres éléments sont plus récents, dont l’augmentation ou l’étendue des sanctions pécuniaires en cas d’infraction aux dispositions criminelles ou civiles.
Dans une certaine mesure, toutes les propositions décrites ci-dessus sont motivées par la volonté du Bureau d’examiner plus particulièrement les comportements anticoncurrentiels éventuels dans l’économie numérique et par sa crainte de ne pas disposer de pouvoirs suffisants pour enquêter sur de tels comportements et imposer des sanctions efficaces. Il est intéressant de noter que le commissaire n’a pas abordé la question des effets anticoncurrentiels des acquisitions d’entreprises en démarrage ou naissantes par de grandes entreprises en place, question qui a récemment attiré l’attention sur les marchés numériques mondiaux. Par exemple, en réaction aux préoccupations soulevées par le fait que l’acquisition de WhatsApp par Facebook a presque échappé à un examen de la part des autorités de contrôle des fusions de l’UE, l’Allemagne a apporté des modifications à son régime de notification des fusions afin de prendre en compte certaines acquisitions d’entreprises naissantes. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission et 48 procureurs généraux d’États ont annoncé des actions contre Facebook, alléguant que ses acquisitions de WhatsApp et d’Instagram constituaient des actes illégaux. Étant donné les mesures prises par les autorités semblables d’autres pays, il sera intéressant de voir si le Bureau cherchera à accroître les exigences de notification de fusions au Canada ou à modifier autrement les dispositions de la Loi concernant les fusions afin qu’elles prennent davantage en compte les acquisitions d’entreprises naissantes par des entreprises en place.
Ni le Bureau ni le gouvernement du Canada n’ont indiqué expressément à ce jour leur intention d’apporter des modifications à la Loi en 2021. Il est clair que les priorités actuelles du gouvernement sont de gérer la pandémie et de régler les questions cruciales liées à la reprise économique du Canada. Toutefois, au cours d’une récente entrevue, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie a indiqué que le gouvernement envisagerait d’apporter des modifications à la Loi sur la concurrence. Il s’agit donc d’une question à suivre au cours de la prochaine année.